Le Sacrement du Baptême, par Dr. Wilbert Kreiss - index
I - LA FAUSSE DOCTRINE DU BAPTÊME
L'erreur que nous venons de caractériser n'est pas nouvelle. Nous la trouvons déjà sous la plume de Zwingli en 1530. Dans son ouvrage intitulé Fidei Ratio, le Réformateur suisse écrivait à l'empereur Charles-Quint : "Je crois, et je sais même que tous les sacrements, loin de conférer la grâce, ne l'apportent ni ne la dispensent. Je pourrais peut-être te paraître trop téméraire dans cette chose, puissant empereur. Mais la grâce, comme elle est créée et donnée par l'Esprit divin seul, parvient seulement à l'esprit...Or un conducteur ou véhicule n'est pas nécessaire à l'Esprit, car il est lui-même la force et le porteur qui porte toutes choses et qui n'a pas besoin d'être porté. Nous n'avons jamais lu dans l'Ecriture Sainte que des choses sensibles, tels que les sacrements, amènent de façon certaine l'Esprit avec soi". Zwingli établit donc comme principe que le Saint-Esprit agit sur les coeurs de façon directe et invisible. C'est ce qu'on appelle l'enthousiasme théologique ou le spiritualisme. Les sacrements ne sont conçus que comme le témoignage visible de cette action invisible de l'Esprit. Zwingli écrit, dans le même ouvrage : "Les sacrements sont donnés comme le témoignage public de cette grâce qui, auparavant, est présente chez chacun en privé". Ils ne sont donc que des symboles, des actes visibles qui symbolisent et attestent qu'on a reçu l'Esprit Saint. C'est vrai en particulier du baptême: "Par le baptême, l'Eglise reçoit publiquement celui qui auparavant a été reçu par la grâce...Le baptême n'apporte donc pas la grâce, mais il témoigne à l'Eglise que la grâce a été donnée à celui qui a été baptisé". "Le baptême ne fait que consigner celui qui est ajouté à l'Eglise; par lui aucun péché n'est pardonné" (Epistolar. I, 60,61). "On ne fait qu'accomplir une chose extérieure, quand on baptise en récitant les paroles sacrées : Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Ce n'est que le signe d'une réalité et une cérémonie" (De vera et falsa religione, 239), et Zwingli d'affirmer que "tous les docteurs, depuis l'époque des apôtres, se sont trompés sur ce point, en conférant à l'eau une efficacité qu'elle n'a pas" (Le Baptême, Zurich, 1525).
Nous lisons de même dans le Nouveau Manuel d'Instruction des Eglises Mennonites: "Le baptême est un acte d'obéissance, par lequel le chrétien rend témoignage qu'il a cru à la grâce de Dieu pour le pardon de ses péchés et le don du Saint-Esprit" (Montbéliard, 1956, p.68).
Le théologien baptiste Alfred Kuen se fixe, dans l'ouvrage que nous avons déjà cité, la tâche suivante: "Nous essaierons, en nous appuyant sur les déclarations bibliques, de dégager sept aspects de la signification du baptême, sans prétendre, bien entendu, épuiser le sens du symbole" (p.32). Son chapitre sur la signification et la valeur du baptême se subdivise en sept parties qui portent les titres suivants: "Le baptême: symbole d'une union avec Christ" (p.32), "le baptême: symbole d'une mort et d'un ensevelissement" (p.35), "le baptême: symbole de notre résurrection avec Christ" (p.39), "le baptême: symbole d'un bain de purification" (p.44), "le baptême: symbole d'un revêtement" (p.46), "le baptême: symbole du sceau du Saint-Esprit" (p.51), "le baptême: symbole d'un passage à un monde nouveau, à une humanité nouvelle" (p.55). Il s'agit donc d'une réduction systématique du baptême à un acte symbolique, qui doit représenter de façon visible des réalités intérieures et invisibles. Et si l'on demande à l'auteur ce qu'il fait de tous les textes bibliques qui affirment que le baptême procure le pardon des péchés, qu'il délivre de la mort et de Satan, qu'il régénère le pécheur et lui offre le salut éternel, il répond: "En réalité, toutes ces affirmations concernent le baptême de l'Esprit, dont le baptême d'eau n'est que le symbole" (p.64). "Tout ce qui est représenté symboliquement par le baptême, le Saint-Esprit l'opère spirituellement dans le croyant" (p.43). Etre "baptisé en Christ" est interprété comme signifiant que le nouveau baptisé est dédié à Christ, uni à lui, qu'il devient un défenseur de la cause du Christ, un soldat de son armée (p.34). Le magnifique texte de Paul, Galates 3 : 27: "Vous tous, qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ", est interprété de la façon suivante: "Le monde doit de même pouvoir lire sur notre personne que nous appartenons à Christ, que nous faisons profession de le suivre, qu'il a changé notre manière de vivre jusqu'aux habitudes les plus invétérées (soin, modestie, conformité à sa Parole, au lieu de conformité au monde...). Ceux qui nous observent doivent pouvoir discerner même extérieurement les caractéristiques de Christ sur nous : sa douceur, sa bonté, sa patience, son ardente compassion, son humilité" (p.50). Pauvre explication d'un texte aussi merveilleux!
D'où vient ce refus obstiné de laisser parler la Bible, d'accepter ses affirmations, sans chercher à les circonvenir? Parce qu'on croit voir une contradiction entre les textes bibliques qui parlent du Saint-Esprit et de la foi, et ceux où il est question du baptême. On argumente de la façon suivante: Si c'est le Saint-Esprit qui régénère l'homme, ce n'est pas le baptême! Si c'est par la foi qu'on obtient le pardon, ce n'est pas par le baptême! Si le pécheur est sauvé par la foi, il ne l'est pas par le baptême! Dès lors, celui-ci ne peut être qu'un symbole. Aussi ce mot revient-il pratiquement à chaque page dans l'ouvrage d'A. KUEN, alors que l'Ecriture ne l'emploie pas une seule fois (ni aucun de ses synonymes), quand elle parle du baptême.
Le résultat d'une telle théologie est une doctrine du baptême vidée de toute sa substance biblique. A. Kuen écrit: "Si le baptême n'est pas un sacrement qui nous confère une grâce, s'il n'est pas un acte indispensable à notre salut, quelle est alors sa valeur pour le chrétien? Qu'ajoute-t-il au simple acte de foi? D'après a Bible il est 1) un engagement, 2) l'expression extérieure et visible d'une expérience intérieure, 3) une occasion de confesser sa foi, 4) une prédication, 5) l'occasion d'un examen, 6) une aide pour la sanctification, 7) un acte d'obéissance" (p.73). C'est tout! Non seulement il n'est plus question de grâce, de pardon et de salut, mais Dieu lui-même est chassé du baptême. C'est l'homme qui agit, et lui seul : il s'engage, il exprime quelque chose, il confesse, il prêche, il s'examine, il se sanctifie, il obéit! Dieu n'est qu'un spectateur bienveillant, le témoin silencieux et inactif de la piété de l'homme. Pauvre théologie baptismale, en regard de la révélation biblique!
Calvin n'est jamais allé aussi loin. Il a du baptême une conception plus élevée que Zwingli. Pour lui, ce sacrement est plus qu'un geste ou une cérémonie qui symbolise notre appartenance à Christ: "Ceux qui ont osé écrire que le baptême n'est autre chose qu'une marque et enseigne, par laquelle nous professons devant les hommes notre religion, ainsi qu'un homme d'armes porte la livrée de son prince, n'ont pas considéré ce qui est le principal du baptême : c'est que nous devons le prendre avec cette promesse, que tous ceux qui auront cru et seront baptisés, seront sauvés" (Institution de la Religion Chrétienne, IV, 15,1).
Le Réformateur de Genève établit donc un lien entre le baptême et le pardon des péchés. Cependant, il rejette l'affirmation selon laquelle l'eau du baptême procure ce pardon en vertu de la promesse qui y est jointe. "Saint Paul, dit-il, n'a pas voulu signifier que notre purification et notre salut sont accomplis par le moyen de l'eau, ou que l'eau contient le pouvoir de purifier, régénérer ou renouveler. Saint Pierre n'a pas non plus voulu dire que l'eau est la cause de notre salut... Le baptême ne promet d'autre purification que par l'aspersion du sang de Christ, lequel est figuré par l'eau, à laquelle il ressemble par le pouvoir qu'il a de laver et de nettoyer" (IV, 15, 2). C'est en ce sens que Calvin peut considérer le baptême comme un moyen de grâce : l'eau du baptême, à laquelle est unie la promesse de Dieu, ne confère par le pardon et le salut, mais procure la certitude du pardon et du salut. Elle donne au baptisé la certitude que, de même que l'eau lave et purifie le corps, de même le sang du Christ purifie l'âme et procure le pardon. Le baptême est ainsi à la fois symbole, signe et sceau du pardon et du salut. Mais Calvin refuse de croire que Dieu pardonne et sauve par l'eau du baptême.
De nombreux théologiens réformés, tels que F.J. Leenhardt, K. Barth, E. Brunner, comprenant sans doute que la doctrine de Calvin était un compromis intenable, se sont plus ou moins nettement détournés d'elle, pour rejoindre la position de Zwingli, qui est finalement celle de la théologie baptiste. Aussi ont-ils exprimé leur opposition au baptême des enfants. Le rejet du pédobaptisme (baptême des enfants) est en effet la conséquence logique et nécessaire de la doctrine zwinglio-baptiste.
Si le baptême est, pour reprendre les termes d'A. Kuen (p.73), un engagement, l'expression extérieure et visible d'une expérience intérieure, une occasion de confesser sa foi, une prédication, l'occasion d'un examen, une aide pour la sanctification et un acte d'obéissance, si le baptême est cela et rien que cela, il va de soi que l'Eglise chrétienne ne doit baptiser que ceux qui font profession de foi. On ne demande pas à un nourrisson de confesser ses péchés et sa foi! On ne lui demande pas non plus de s'engager vis-à-vis de Dieu!
A. Kuen écrit: "Le baptême des enfants n'a rien de commun avec ce que la Bible appelle baptême, sauf le nom" (p.199). "Celui qui a subi, étant nourrisson, une présentation accompagnée d'une aspersion de quelques gouttes d'eau, ne peut pas dire qu'il a été baptisé dans le sens biblique de ce terme" (p.119). "Pour qu'un engagement soit valable, la loi exige que le contractant soit capable, libre et volontaire... Notre conscience se révolte à l'idée que des enfants soient vendus sans leur consentement à un maître qui les fera travailler : nous appelons cela de l'esclavage. Nous nous rebiffons devant la pratique de certains peuples de marier les enfants au moment de leur naissance. Pourquoi ne serions-nous pas choqués à la pensée que Dieu sanctionnerait des engagements pris pour nous, à notre insu, par des remplaçants (parrains et marraines), au moment de notre naissance, et qu'il nous obligerait à tenir ces voeux que nous sommes censés avoir prononcés" (p.77.78). Tout cela est logique et se tient. Si la doctrine baptiste est biblique et correcte, il n'est pas légitime de baptiser des enfants.
Le Nouveau Manuel d'Instruction des Eglises Mennonites affirme de même: "Selon l'Ecriture, seuls ceux qui se sont personnellement convertis au Seigneur, se détournant de leur vie passée afin de vivre pour Dieu, peuvent recevoir valablement le baptême. Cela exclut tout baptême de nourrisson" (p.70).
K. Barth écrit: "A l'actuel baptême des enfants, il faut substituer un baptême dont le baptisé soit également responsable. Il faut, si les choses doivent être faites de façon valide, qu'il cesse d'être l'objet passif du baptême, pour devenir un partenaire libre de Jésus-Christ, c'est-à-dire un partenaire qui se décide librement et qui confesse librement son consentement et sa disposition... Dans le contexte de la doctrine du baptême, il est difficile de préserver le baptême des nourrissons, sans recourir à de réels artifices et sophismes exégétiques" (Die Kirchliche Lehre von der Taufe, 1947).
Lors d'une visite en Hollande, en 1933, K. Barth avait été prévenu par le professeur de théologie de la faculté de théologie de l'Université Libre d'Amsterdam, G.C. Berkouwer, qu'il ne se passerait pas dix ans avant qu'il ne se mette à combattre le baptême des enfants. K. Barth avait protesté à l'époque. Mais il fallut en fait moins de dix ans pour qu'il se rende compte que le baptême des enfants était incompatible avec sa doctrine de ce sacrement. S'il se complaît à tourner en ridicule l'attitude de Luther et de Calvin, il n'explique pas comment il a pu, lui, pendant si longtemps, se ranger à leurs côtés. Son évolution dans ce domaine est logique, elle aussi. On ne peut être pour le baptême des nourrissons, quand on accepte la doctrine baptismale de K. Barth!
Il va aussi de soi qu'on ne peut en même temps rejeter le baptême des enfants et croire au péché originel, croire que les enfants ont besoin de grâce et de pardon. Le Réformé F.J. Leenhardt soutient que les enfants des croyants, "s'ils sont saints, n'ont pas besoin de baptême", car "ils ont de naissance ce que le baptême devrait leur donner". "L'accueil que Jésus réserve aux enfants prouve au contraire qu'ils n'ont pas besoin de baptême" (Sur le sens du mot "antipédobaptiste", in Foi et Vie, 1950, p.67,68).
A. Kuen partage la même opinion: "La doctrine du péché originel a été définie par Augustin; il n'en est nulle part question dans la Bible comme d'une souillure dont le baptême devrait nous purifier. Aucun homme ne mourra à cause du péché originel (Jér 31 : 30)" (Le Baptême, p.195).
Citons enfin le Pasteur A. Maillot: "Comment accuser un enfant de huit jours de péchés véritables, même s'il y a huit jours qu'il vous empêche de dormir? L'astuce fut simple : on leur infligea un péché originel, transmis par les parents et que le baptême venait nettoyer au moins dans ses conséquences. On baptisa les enfants en vue de la rémission du péché originel. Les théologiens ne sont jamais en panne. Jamais!" (Les péchés enlevés, in Le Christianisme au XXº siècle, p.4).
Au lendemain de la dernière guerre mondiale, l'Eglise Réformée de France avait créé une Commission du Baptême, chargée de présenter un certain nombre de thèses sur l'administration du sacrement. Une série de résolutions furent soumises au vote des Synodes Régionaux, dont voici la troisième: "Les fidèles seront laissés libres de ne pas faire baptiser leurs enfants, s'ils jugent que le baptême ne peut être administré qu'à la demande personnelle du candidat au baptême" (La Revue Réformée, Octobre 1950, p.200). C'était faire du baptême des enfants une question officiellement ouverte, sur laquelle chacun peut avoir son opinion personnelle. L'influence de K. Barth est manifeste! Est-il nécessaire d'ajouter que bien des pasteurs luthériens se rallient à cette attitude? Qu'un pasteur de l'Eglise de la Confession d'Augsbourg d'Alsace et de Lorraine a dû être démis de ses fonctions, pour avoir refusé de baptiser un enfant dans un passé tout à fait récent?
L'Eglise Luthérienne affirme :
"Quant au baptême, nous enseignons qu'il est nécessaire, et que par lui la grâce nous est offerte. Nous enseignons aussi qu'on doit baptiser les enfants, qui, par ce baptême, sont remis à Dieu et lui deviennent agréables. Pour cette raison nous rejetons les Anabaptistes, qui enseignent que le baptême des enfants n'est pas justifié" (Confession d'Augsbourg, Art. IX).
Une telle affirmation est-elle biblique? C'est ce que nous allons nous efforcer d'étudier maintenant.