LES PARABOLES DU SEIGNEUR, par Dr. Wilbert Kreiss - index
LE FILS PRODIGUE ou LE PERE ET SES DEUX FILS: Luc 15:11-32
Ce n'est pas, à vrai dire, la parabole du fils prodigue, car il y en a deux et les deux entrent en scène, mais la parabole du père et de ses deux fils, et le père en reste de loin la figure principale. Jamais Jésus ne nous a laissé pénétrer aussi loin dans le mystère de Dieu et de son pardon. Jamais il n'a autant soulevé le voile qui cache la personne de Dieu, et jamais il n'a jeté une aussi vive lumière sur la condition et sur le destin de l'homme. On ne comprend pas bien pourquoi un seul évangile a conservé ce joyau. C'est l'Evangile dans l'Evangile, la perle des paraboles, la quintessence de la bonne nouvelle. Il n'y a pas de déchéance plus grave que celle de ce fils prodigue, et il n'y a pas d'amour plus gratuit et plus grand que celui que ce père témoigne à ses deux fils. Splendide! Cette parabole est plus intense encore que les deux précédentes, car il ne s'agit plus d'une brebis et d'une drachme, mais de deux fils qui illustrent les pécheurs qui se repentent et les propres-justes qui n'ont pas besoin de repentance. Ou plutôt, qui pensent ne pas en avoir besoin.
Un homme avait deux fils. Le plus jeune dit à son père...:
On notera la sobriété du récit, surtout du début (V.11). Le fils aîné reste à la maison; il sera l'héritier de l'exploitation. En tant qu'aîné, il touchera une double part (Deutéronome 21:17). Le cadet, lui, demande la sienne et s'en va. Il ne se plaît plus à la maison. Il s'y sent à l'étroit. Il ne vit plus de l'amour de ses parents. Il aspire à la liberté, la liberté la plus totale, la licence, la débauche (V.30). Quel avertissement pour les jeunes!
Et voici que le père accède à la demande de son fils. Il fait ce à quoi rien ne peut le contraindre: il distribue l'héritage de son vivant, avant de mourir. Inconcevable dans la réalité, mais Jésus a besoin de ce détail pour illustrer son enseignement. Dieu est bon; il donne sans compter et distribue ses bienfaits avec libéralité.
Ayant obtenu sa part, le cadet prend son baluchon et s'en va. Il dissipe tous ses biens en vivant "dans la débauche" (V.13.30). Mais à l'aisance et à la débauche succèdent rapidement le dénuement et la détresse. Il ne mange plus à sa faim et sombre dans le désespoir. Il est un étranger là où il vit et se fait embaucher par un citoyen de ce pays. Il garde les cochons (le plus dégradant des métiers pour un Juif aux yeux de qui cet animal était impur). Le péché fait de lui le compagnon des porcs. Et il ne mange même pas à sa faim. Il n'a pas leur chance. Personne ne lui donne de caroubes, ce fruit du caroubier, rempli d'une substance gélatineuse douceâtre, que les pauvres mangeaient quand ils n'avaient rien d'autre à se mettre sous la dent. Symbole de la détresse spirituelle de cet homme qui vit loin de Dieu.
Etant rentré en lui-même...:
Il ressent enfin les conséquences du mal qu'il a commis, sa terrible erreur. C'est le grand tournant, l'étincelle qui va permettre son retour à la maison, l'étincelle de la foi. C'est la conversion. Il rentra "en lui-même". Avant il était complètement "en dehors de lui-même", "à côté de ses pompes", il raisonnait mal, victime d'une erreur tragique. Maintenant il la comprend enfin. Il voit enfin les choses comme elles sont: les employés de son père mangent à leur faim. Il ferait bien de rentrer! C'est l'illumination que Dieu accorde au pécheur repentant. Il admet sa folie (V.17) et aspire à la sécurité du foyer paternel. Il demandera pardon à son père et vivra à nouveau sous son toit. C'est ainsi que la Loi et l'Evangile agissent dans le coeur du pécheur. Il est prêt à confesser son injustice, à la confesser entièrement, sans rien en cacher.
Mon père, j'ai péché contre le ciel et contre toi:
Il a péché contre le ciel et contre son père. Tout péché est toujours péché contre le ciel, contre Dieu, même quand on offense son prochain. La confession du péché inclut l'aveu de la faute et la demande de pardon. Le fils prodigue appelle son père "père". Il reste père, malgré le péché de son enfant. Nous ne sommes pas dignes d'être appelés enfants de Dieu, et pourtant nous le sommes par la foi. C'est véritablement un acte de foi. C'est ainsi que le changement intérieur qui s'est produit en lui (V.17-129) se traduit en acte (V.20).
Comme il était encore loin, son père le vit:
Description merveilleuse de la grâce de Dieu. Le père voit son fils de loin, comme s'il se tenait toujours dehors, dans l'attente de son retour. Voyant l'enfant rentrer en guenilles, il a compassion de lui. Il n'attend pas que le fils se jette à ses genoux, mais court à sa rencontre et le couvre de baisers. Le père pardonne avant que le fils ait dit le moindre mot. Dieu pardonne dès qu'il y a foi, avant qu'elle ne s'exprime par la prière. Rien en lui ne doit faire douter le pécheur repentant du pardon divin. Le doute a toujours ses raisons en l'homme et non en Dieu.
Cette parabole est l'affirmation la plus belle qui soit du pardon divin. Cependant elle ne dit pas tout. Par exemple, elle ne parle pas de l'oeuvre rédemptrice du Christ. Il faut donc l'interpréter selon ce qu'on appelle l'analogie de la foi. Le prédicateur n'oubliera pas de rappeler que le pardon divin, total et gratuit, se fonde sur le sacrifice rédempteur de Jésus-Christ qui a satisfait aux exigences de la justice divine. S'il ne fait pas cela, il enseigne un demi-Evangile, un Evangile tronqué.
Dieu n'a pas besoin d'enquête. Il pardonne, puis il écoute la confession, comme le père embrasse son fils avant de le laisser parler (V.21). Et quand le fils se met à parler, le père l'interrompt. Il le laisse à peine finir une première phrase. C'est l'un des détails les plus touchants de la parabole.
Apportez vite la plus belle robe...:
C'est la fête. Tout y est: la robe, symbole du pardon (Esaïe 61:10; Zacharie 3:3-5), la bague, insigne de filiation et gage de l'adoption (Osée 2:19.20), les sandales (alors que les esclaves marchaient pieds nus). Quand Dieu fait grâce à un pécheur, il le purifie, le fait beau par le pardon et lui donne le statut de fils. Enfin on tue le veau gras, symbole d'abondance et de joie, alors que le fils prodigue avait connu la disette et la déchéance. C'est l'image de toutes les bénédictions du Royaume de Dieu et le prélude du repas céleste. Cf. Luc 13:28.29. La raison de tout cela est fort simple: le père croyait son fils mort et il le revoit vivant; il le savait perdu et il le retrouve. Comment concilier cette joie du père avec les murmures des pharisiens et des scribes (V.1.2)?
Le fils aîné... se mit en colère et ne voulut pas entrer:
C'est lui, le vrai fils perdu, et pour de tout autres raisons. Son histoire est le contraire de celle de son frère, celle du propre juste qui n'a rien à se reprocher et dont le coeur reste fermé à l'amour et à la grâce. Il est le portrait vivant des pharisiens et des scribes et murmure comme eux. Pas question de célébrer le retour du cadet, de passer l'éponge sur tout le mal qu'il a fait!
Il y a tant d'années que je te sers:
Toute la cécité, l'ignorance, la dureté et la méchanceté de ce fils se dévoilent. Il a enfin une bonne occasion de montrer ce qu'il a dans le coeur. Il est lui aussi "aliéné", comme l'avait été son jeune frère, mais pour d'autres raisons. Il en appelle à ses qualités, son labeur, son obéissance, ses mérites. Cf. Luc 18:21. Mais il a transgressé le plus grand commandement, celui de l'amour, et cela, il l'ignore. Il ne comprend rien à l'amour et ne sait pas ce qu'est la miséricorde.
Mon enfant, lui dit le père, tu es toujours avec moi et tout ce que j'ai est à toi:
C'est une nouvelle preuve de l'amour paternel. "Mon enfant...". Cet homme aime ses deux fils. L'aîné aussi doit partager sa joie. Mais il ne veut pas. Il mérite une leçon, des reproches. Le père aurait pu se mettre en colère contre lui, réprouver sévèrement sa conduite. Au lieu de cela, il lui témoigne sa tendresse et l'invite simplement à entrer et à se réjouir avec les autres.
Le fils aîné va-t-il refuser de partager cette joie? Les pharisiens et les scribes vont-ils persister à murmurer? La parabole s'arrête brutalement. On aimerait savoir ce que l'aîné répondit à son père, comment il réagit. Mais c'est une question que nous devons nous poser à nous-mêmes, si nous voyons en nous les moindres traces de propre-justice. Que répondrions-nous à Dieu?
Thèmes de réflexion:
Dieu attend le retour du fils prodigue. Il a mis un indicateur sur le chemin du retour, la croix de Golgotha. Cela ne veut pas dire qu'il ne fasse rien pour que nous revenions à lui. Il a dressé une croix sur notre chemin et va à notre recherche. Mais pas de façon visible, et moins encore avec un gourdin. Il agit de façon invisible, de la maison, et nous attire à lui. Par son amour. Il nous plonge dans la repentance et nous ouvre les yeux sur sa grâce. Et c'est avec ces yeux ouverts que nous retrouvons le chemin du retour et l'empruntons. L'incarnation de Jésus et l'action du Saint-Esprit dans la Parole sont les deux grandes preuves de l'existence de Dieu, à condition qu'on ait les yeux ouverts sur ces témoignages d'amour. Pour quiconque a les yeux fermés et ne comprend rien à l'amour de Dieu, l'incarnation du Christ est la preuve de l'échec, voire de l'inexistence de Dieu. "Si tu es Fils de Dieu, descends", disaient les spectateurs du Calvaire.
L'aîné ne comprend rien à l'amour de son père pour le cadet. Lui-même ne l'aime pas et ne comprend pas qu'on l'aime. Pourtant le père l'invite à entrer et à participer au festin. Il a toujours été avec son père; il le connaît bien et pourtant il n'a rien compris. C'est à désespérer de lui. C'est comme si le père était pour lui un étranger dont les marques d'amour éclatent soudain, d'une façon imprévue et inconnue. C'est à désespérer. Mais l'amour ne désespère jamais. Les deux verbes ne se conjuguent jamais ensemble. C'est pourquoi le père sort. Il espère en son fils désespérant, comme il a espéré en son cadet. Dieu ne désespère pas plus du pharisien que du publicain. Mais l'aîné ne veut pas entrer. Il ne sait pas ce qu'est aimer. Des deux fils, il est sans doute pour cette raison le plus à plaindre.
Questions de révision et exercices: