La Confession d'Augsbourg de 1530 |
DEUXIÈME PARTIE:
ARTICLES QUI SONT CONTESTÉS ET OÙ L'ON TRAITE DES
ABUS QUI ONT ÉTÉ CORRIGÉS
Puisque dans nos églises, en ce
qui concerne les articles de la Foi, on n'enseigne rien qui soit contraire
à l'Écriture Sainte ou à l'Église chrétienne
universelle ; puisqu'on n'a fait que remédier à certains
abus qui se sont infiltrés dans l'Église au cours des temps,
ou qui y furent violemment introduits ; nous sommes donc nécessairement
obligés d'exposer ces abus et d'alléguer les raisons qui
nous ont déterminés à permettre ces changements.
Ainsi Votre Majesté Impériale pourra reconnaître qu'on
n'a pas agi en ces matières d'une manière frivole et indigne
de chrétiens, mais que nous avons permis ces changements, contraints
par le commandement de Dieu, qu'il convient de respecter bien plus que
toutes les coutumes traditionnelles.
Article 22. -- De la Communion sous les Deux Espèces
Dans nos églises on administre
aux laïques la Sainte Cène sous les deux espèces, pour
la bonne raison que tel est clairement l'ordre et le commandement de Christ,
Matth. 26, 27 : « Buvez-en tous ». Là, le Christ,
parlant de la coupe, ordonne en termes claires et précis que tousdoivent
en boire.
Et pour que personne ne puisse contester
ces paroles ni leur donner une fausse interprétation en prétendant
que ce commandement ne s'applique qu'aux prêtres, saint Paul (I Cor.
11, 26) indique que toute l'assemblée de l'Église de Corinthe
communiait sous les deux espèces. Et cet usage a longtemps
persisté dans l'Église, comme on peut le prouver par l'histoire
et par les écrits des Pères. Cyprien rapporte en plusieurs
endroits de ses écrits, que de son temps la coupe était administrée
aux laïques. De même, saint Jérôme dit que
les prêtres qui administrent le Sacrement distribuent au peuple le
sang de Christ. Le Pape Gélase lui-même ordonne qu'on
ne doit pas « diviser » le Sacrement (Distinct. 2 De Consecr.,
Chap. Comperimus). On ne trouve nulle part aucun Canon qui prescrive
de recevoir le Sacrement sous une seule espèce. Il est même
impossible de savoir au juste quand, et par qui cette coutume de la communion
sous une seule espèce a été introduite, sauf que le
cardinal Cusanus fait mention de l'époque où cet usage a
été officiellement approuvé. Or il est clair
qu'une telle coutume, introduite à l'encontre du commandement de
Dieu et même des anciens canons, n'a rien pour la justifier.
Si donc des chrétiens ont demandé à recevoir le Saint
Sacrement d'une façon conforme à l'institution de Jésus-Christ,
il n'était pas convenable d'accabler leur conscience et de les contraindre
à agir contrairement à l'ordonnance du Seigneur Jésus-Christ.
Et comme la mutilation du Sacrement est en flagrante contradiction avec
l'institution de Christ, nous avons aussi supprimé la coutume, qui
était en usage jusqu'ici, de porter le Sacrement en procession.
Article 23. -- Du Mariage des Prêtres
Partout dans le monde, chez les grands
comme chez les humbles, une immense plainte s'est élevée
depuis longtemps, à cause de la grande immoralité et du dérèglement
des moeurs parmi les prêtres, incapables de se contenir dans les
bornes de la chasteté. Et vraiment, on avait atteint le dernier
degré de ces vices abominables. Pour éviter tant de
scandales odieux, l'adultère et la fornication, quelques-uns de
nos prêtres sont entrés dans l'état du mariage.
Ils allèguent pour raison de leur décision, qu'ils y ont
été poussés et contraints par la grande détresse
de leur conscience, parce que l'Écriture Sainte enseigne clairement,
que l'état du mariage a été institué par Dieu
pour éviter l'impudicité. Comme le dit saint Paul,
I Cor. 7 : « Pour éviter l'impudicité, que chacun ait
sa propre femme ». De même : « Il vaut mieux se
marier que de brûler ». Et lorsque Jésus-Christ
dit, Matth. 19, 11 : « Tous ne sont pas capables d'accepter cette
parole », il indique par là, lui qui savait bien ce qui est
dans l'homme, que peu d'hommes possèdent le don de la continence
; car Dieu, en créant les hommes, « les a créés
homme et femme » (Gen. 1). Or l'expérience démontre
trop clairement qu'il n'est pas au pouvoir de l'homme de modifier ou d'améliorer
de sa propre initiative, ou par un voeu, la création de la majesté
divine, à moins qu'il n'ait reçu un don et une grâce
spéciale de Dieu. Car tout le monde sait quel genre de vie
chaste et honnête, quel genre de conduite chrétienne et honorable
s'en est suivi chez beaucoup ! On sait quels remords effroyables
et quels tourments de conscience ont accablé beaucoup d'entre eux-
mêmes. Puisque donc ni la Parole ni le commandement de Dieu
ne peuvent être modifiés par aucun voeu ni par aucune loi
humaine : c'est donc pour cette raison, et beaucoup d'autres encore, que
nos prêtres et autres membres du clergé ont pris femme.
On peut d'ailleurs prouver par l'histoire
et par les écrits des Pères, qu'il était autrefois
d'usage dans l'Église chrétienne que les prêtres et
les diacres se mariaient. Car saint Paul dit, I Tim. 3 : «
Il faut que l'évêque soit irréprochable, mari d'une
seule femme ». Ce n'est d'ailleurs que depuis 400 ans seulement
qu'en Allemagne les prêtres furent contraints au célibat et
forcés de renoncer au mariage. À quoi ils s'opposèrent
tous si sérieusement et avec une telle véhémence qu'un
archevêque de Mayence, qui avait publié ce nouvel édit
du Pape, fut sur le point d'être mis à mort dans la bagarre,
au cours d'un soulèvement du clergé tout entier. Cette
interdiction du mariage des prêtres fut appliquée dès
le début avec une telle précipitation et avec tant de maladresse,
que le Pape ne se contenta pas, en ce temps, de prohiber pour l'avenir
le mariage des prêtres, mais qu'il rompit même le mariage de
ceux qui y avaient vécu depuis longtemps. Cette dernière
mesure n'est pas seulement une violation de toutes les lois divines, naturelles
et civiles, mais elle est même en flagrante contradiction avec les
Canons décrétés par les Papes eux-mêmes, et
avec les décisions des plus illustres Conciles.
Un grand nombre d'hommes éminents,
pieux et sensés, on souvent fait entendre des propos et des opinions
à cet effet : qu'un pareil célibat forcé et une telle
interdiction du mariage -- état que Dieu a institué lui-même
et qu'il a laissé ouvert à tous -- n'ont jamais produit rien
de bon, mais ont introduit une multitude de vices abominables et de désordres
scandaleux. Même un Pape, Pie II, a souvent déclaré,
oralement et par écrit, -- ainsi qu'en fait foi sa biographie, --
qu'il y avait bien certaines raisons pour que l'on ait interdit le mariage
aux prêtres, mais qu'il y en avait d'autres bien plus graves et plus
importantes pour leur rendre la liberté de se marier. Sans
doute le Pape Pie II, homme sage et pondéré, n'a pas dit
cette parole à la légère.
Nous espérons donc, comme sujets
soumis à Votre Majesté Impériale, que Votre Majesté,
en Empereur chrétien et très louable, daignera considérer
sérieusement que nous vivons dans les derniers temps où,
selon l'Écriture, le monde se corrompt de plus en plus, et où
les hommes deviennent de plus en plus faibles et fragiles.
C'est pourquoi il est urgent, utile
et digne d'un chrétien, d'examiner diligemment cet état de
choses, de peur que, le mariage étant interdit, une impudicité
plus honteuse et des vices plus abjects n'envahissent le pays allemand.
Car lorsqu'il s'agit de créer ou de changer ces institutions, personne
ne pourra le faire de meilleure manière et avec plus de sagesse
que Dieu lui- même, qui a établi l'état du mariage
pour venir en aide à l'infirmité humaine et pour mettre obstacle
à l'immoralité.
Les Canons anciens disent aussi qu'il
faut parfois adoucir et modérer la rigueur des lois, par égard
à la faiblesse humaine, et afin d'éviter de plus grand maux.
Dans le cas qui nous occupe, cette indulgence
serait certainement exigée par la charité chrétienne,
et absolument nécessaire. En quoi, d'ailleurs, le mariage
des prêtres et des clercs peut-il être désavantageux
à l'Église chrétienne universelle, et en particulier
le mariage des pasteurs de paroisse et des autres ministres de l'Église
? Mais si cette prohibition rigide devait durer, on viendrait certainement
dans l'avenir à manquer de prêtres et de pasteurs.
Il est donc établi que de droit
au mariage pour les prêtres et les ecclésiastiques en général
est fondé sur la Parole et sur le commandement de Dieu. De
plus, l'histoire prouve qu'autrefois les prêtres étaient mariés.
Et enfin, le voeu du célibat a causé tant de scandales impies
et odieux, tant d'adultères, tant d'impudicités inouïes
et de vices abominables, que même plusieurs chanoines et des officiers
de la cour de Rome l'ont souvent avoué et ont exprimé la
crainte que, le clergé étant plongé dans tant de vices
épouvantables, la colère de Dieu ne fût suscitée.
Dans ces conditions il est bien lamentable de voir que l'on ne s'est pas
contenté d'interdire le mariage chrétien, mais que dans certains
endroits on a eu le front de le poursuivre avec empressement comme un crime.
Et pourtant Dieu a ordonné dans les Saintes Écritures qu'on
tienne le mariage en honneur. De même, dans les lois impériales,
et dans tous les États où la loi et le droit ont jamais été
en vigueur, l'état du mariage est hautement honoré.
Ce n'est que maintenant que l'on se met à livrer au bourreau des
innocents, uniquement parce qu'ils se sont mariés ; et c'est ainsi
qu'on agit à l'égard de prêtres, que l'on devrait ménager
avant tout ! Voilà des choses contraires non seulement aux
lois divines, mais aussi aux Canons de l'Église. L'apôtre
Paul (I Tim. 4) traite de « doctrine des démons » celle
qui défend de se marier. Jésus-Christ lui-même
déclare, Jean 8, 44 : « Le diable est meurtrier dès
le commencement ». Cela se vérifie dans le cas présent
; en effet, la doctrine qui interdit le mariage et qui, pour se maintenir,
ne recule pas devant l'effusion du sang, doit être une doctrine du
diable.
Mais comme il n'y a aucune loi humaine
qui puisse annuler ou modifier la loi de Dieu, il n'y a point non plus
de voeu qui puisse modifier la loi divine. C'est pourquoi saint Cyprien
conseille aux femmes qui ne tiennent pas leur voeu de chasteté,
de se marier, disant : « Si elles ne veulent pas, ou ne peuvent pas
vivre dans le célibat, il vaut mieux qu'elles se marient, plutôt
que de tomber dans le feu par leur concupiscence, et qu'elles se gardent
bien de ne pas scandaliser leurs frères et leurs soeurs »
(Livre I, Épître 11).
Par surcroît, tous les Canons
se montrent indulgents et équitables surtout pour ceux qui ont fait
des voeux étant jeunes. D'ailleurs, la plupart des prêtres
et des moines ont embrassé leur état dans l'ignorance de
la jeunesse.
Article 24. -- De la Messe
C'est à tort qu'on nous reproche
d'avoir aboli la Messe, alors qu'il est avéré que chez nous,
sans nous vanter, la Messe est célébrée d'une manière
plus sérieuse et avec plus de vénération que chez
nos adversaires. Nous avons aussi grand soin d'instruire souvent
nos fidèles sur le saint Sacrement, afin qu'ils sachent dans quel
but il a été institué, et comment on doit s'en servir
: à savoir, pour réconforter les consciences troublées.
C'est ainsi qu'on attire le peuple à la Messe et à la Communion.
En même temps nous l'avertissons contre d'autres fausses doctrines
concernant le Sacrement. D'ailleurs, nous n'avons guère apporté
de modifications aux cérémonies publiques de la Messe, sauf
qu'en quelques endroits on chante des cantiques allemands à côté
des chants latins, pour instruire et exercer le peuple, puisque toutes
les cérémonies doivent servir principalement à l'instruction
du peuple dans ce qu'il lui est nécessaire de connaître concernant
le Christ.
Personne n'ignore que la Messe, déjà
avant ces temps, a été l'objet de nombreux abus de toutes
sortes. On a fait de la Messe une véritable kermesse ; on
l'a achetée et vendue ; partout dans les églises, la plupart
des messes ont été célébrées pour de
l'argent.
Aussi cet abus a été maintes fois, déjà avant
nous, condamnés par des hommes réputés pour leur science
et pour leur piété. Depuis que les prédicateurs
chez nous ont prêché à ce sujet et qu'on a attiré
l'attention des prêtres sur la terrible menace, I Cor. 11, 29 : que
quiconque se sert du Sacrement indignement, sera « coupable du corps
et du sang de Christ », -- menace qui devrait émouvoir tout
chrétien, -- ces messes vénales et privées, qu'on
était obligé jusque là de célébrer pour
jouir de certaines prébendes ou pour s'assurer un revenu, ont cessé
dans nos églises.
Nous avons aussi dénoncé
l'erreur abominable selon laquelle notre Seigneur Jésus-Christ,
par sa mort, n'aurait expié que le péché originel,
et qu'il aurait institué la Messe pour qu'elle soit un sacrifice
pour les autres péchés. C'est ainsi qu'il aurait fait
de la Messe un sacrifice pour les vivants et pour les morts, destiné
à ôter leurs péchés et à réconcilier
Dieu. Il s'en est suivi qu'on a discuté la question si une
messe célébrée pour beaucoup à la fois avait
autant de « valeur » qu'une messe célébrée
pour chacun individuellement. De là vint l'immense multiplication
des messes, par lesquelles on prétendait obtenir de Dieu tout ce
dont on avait besoin. Il va sans dire qu'ainsi la foi en Christ et
le véritable service divin sont tombés dans l'oubli.
Tout cela nous a mis dans la nécessité
de donner instruction à ce sujet, pour que l'on sache comment on
doit se servir correctement du saint Sacrement. Voici ce que nous
enseignons :
Premièrement, les Saintes Écritures
déclarent en de nombreuses endroits qu'il n'y a aucun sacrifice
ni pour le péché originel, ni pour les autres péchés,
sinon uniquement la mort de Christ. Car il est écrit dans
l'Épître aux Hébreux, que Christ s'est offert une seule
fois et qu'ainsi il a aboli le péché, et nous a sanctifiés
une fois pour toutes (Hébr. 9, 26-28 ; 10, 10). C'est une
innovation inouïe d'enseigner dans l'Église que la mort de
Christ a satisfait seulement pour le péché originel et non
pas aussi pour les autres péchés. Il est à espérer
que tout le monde comprendra que nous avons raison de condamner cette erreur.
En deuxième lieu, saint Paul
enseigne que nous obtenons grâce devant Dieu par la foi, et non par
les oeuvres. Rien n'est plus manifestement contraire à cette
doctrine que l'abus que l'on fait de la Messe en s'imaginant que par cette
opération rituelle on acquiert la grâce. Or on sait
qu'on s'est servi de la messe comme d'un moyen pour se débarrasser
de péchés, et pour obtenir la grâce et toutes sortes
de biens auprès de Dieu ; et cela non seulement en faveur du prêtre
officiant, mais encore en faveur de tout le monde, des morts comme des
vivants.
En troisième lieu, le saint Sacrement
n'a pas été institué pour que l'on en fasse un sacrifice
expiatoire -- car ce sacrifice a déjà été consommé
sur la croix -- mais pour qu'il serve à réveiller en nous
la foi, et à réconforter les consciences ; en effet, le Sacrement
nous rappelle que la grâce et la rémission des péchés
nous sont assurées par Jésus-Christ. Par conséquent,
ce Sacrement exige la foi, et sans la foi, on s'en sert en vain.
Puisque donc la Messe n'est pas un sacrifice
offert pour d'autres, qu'ils soient vivants ou morts, afin d'effacer leurs
péchés, mais qu'elle est destinée à être
une Communion dans laquelle prêtre et fidèles reçoivent
le Sacrement, chacun pour soi-même : nous observons chez nous l'usage
suivant : On célèbre la Messe aux jours fériés,
et s'il y a lieux en d'autres jours, lorsque les communiants se présentent,
et on donne le Sacrement à ceux qui le désirent. Nous
avons donc conservé l'usage correct de la Messe, telle qu'elle fut
célébrée autrefois dans l'Église, comme on
peut le prouver par saint Paul, I Cor. 11, 33, et par les écrits
de bon nombre de Pères. Chrysostome, par exemple, dit que
chaque jour le prêtre se tenait à l'autel pour inviter les
uns à communier, tandis qu'il défendait à d'autres
de s'approcher. De même, les anciens Canons nous apprennent
que, tandis que l'un des prêtres célébrait la messe,
les autres prêtres et les diacres recevaient de ses mains la Communion.
Car voici les termes du Canon de Nicée : « Les diacres devront
recevoir le Sacrement, selon leur rang, après les presbytres, soit
de la main de l'évêque, soit de celle d'un presbytre ».
Nous n'avons donc introduit aucun usage
nouveau, qui n'existait déjà dans l'ancienne Église
; de même, nous n'avons apporté aucune modification considérable
aux cérémonies publiques, sauf que nous avons supprimé
les messes parasites et abusives qu'on célébrait en marge
de la Messe paroissiale. Il n'y a donc pas lieu de condamner notre
manière de célébrer la Messe, comme hérétique
et anti-chrétienne. Car jadis on ne célébrait
pas la Messe tous les jours, même pas dans les grandes églises
très populeuses, ni même aux jours où tout le peuple
avait coutume de s'assembler. L'Histoire Tripartite (Livre 9) raconte
qu'à Alexandrie on s'assemblait le mercredi et le vendredi, pour
lire et expliquer l'Écriture, et on célébrait un service
divin complet, mais sans la Messe.
Article 25. -- De la Confession
Pour ce qui est de la Confession, elle
n'a pas été abolie par nos prédicateurs. Nous
observons chez nous la coutume de ne donner le Sacrement qu'à ceux
qui ont été préalablement examinés et absous.
On a soin de faire observer au peuple combien les paroles de l'Absolution
sont consolantes, et combien l'Absolution est une grâce inestimable
et précieuse : qu'elle n'est pas la voix ou la parole du ministre
officiant, mais la Parole de Dieu qui pardonne les péchés.
Car l'Absolution est prononcée au nom de Dieu et par son commandement.
C'est avec beaucoup de zèle que nous donnons instruction concernant
ce commandement et ce Pouvoir des Clefs, et nous montrons combien ce pouvoir
est réconfortant et nécessaire aux consciences angoissées.
Nous leurs disons que Dieu nous ordonne de croire à cette Absolution,
tout comme si c'était la voix de Dieu lui-même, venue du ciel
; et que nous devons nous en réjouir et consoler, en sachant que
par cette foi nous obtenons la rémission des péchés.
Autrefois, les prédicateurs parlaient beaucoup de la Confession,
mais ils ne disaient pas un traître mot de ces choses si nécessaires.
Au contraire, ils ne faisaient que tourmenter les consciences en exigeant
une interminable énumération des péchés et
en les accablant de satisfactions, d'indulgences, de pèlerinages
et d'autres exercices de ce genre. Beaucoup de nos adversaires avouent
eux-mêmes que chez nous on a parlé et écrit avec plus
de compétence au sujet de la vraie repentance chrétienne
que cela n'a été fait depuis fort longtemps.
Voici notre enseignement sur la Confession
: On ne doit contraindre personne à énumérer ses péchés
en détail, vu que cela est impossible, comme le dit le Psaume 19,
13 : « Qui est-ce qui connaît son iniquité? ».
Et Jérémie 17, 9 : « Le coeur de l'homme est tortueux
par-dessus tout et méchant ; qui peut le connaître? ».
La malheureuse nature humaine est plongée si profondément
dans les péchés, qu'elle ne saurait les voir ou les connaître
tous. Si nous ne devions être absous que de ceux que nous pouvons
énumérer, le gain serait infime. Il n'est donc pas
nécessaire de presser les pénitents pour qu'ils nomment chaque
péché par son nom. Les Pères n'ont pas pensé
autrement : Chrysostome s'exprime ainsi (Distinct. I De Poeunitentia) :
« Je ne dis pas que tu doives révéler tes secrets publiquement,
ou t'accuser et plaider coupable devant telle personne ; mais suis l'exhortation
du prophète qui dit : Révèle à l'Éternel
ton chemin, Psaume 37, 5. C'est pourquoi porte ta confession, jointe
à ta prière, devant Dieu le Seigneur, qui est le vrai juge
; ce n'est pas par la bouche, mais dans ta conscience, que tu dois déclarer
tes péchés ». On voit clairement que Chrysostome
ne contraint personne à déclarer ses péchés
nommément. La Glose des Décrets concernant la Repentance,
Distinct. V, chap. Consideret, confirme cet enseignement : que la Confession
n'a pas été commandée par l'Écriture, mais
instituée par l'Église. Néanmoins nos prédicateurs
ne manquent pas d'enseigner avec soin que la Confession doit être
maintenue, pour la consolation des consciences affligées, à
cause de l'Absolution qui en constitue l'élément essentiel
et principal, et pour d'autres raisons encore.
Article 26. -- De la Distinction des Aliments
Autrefois on enseignait, aussi bien en
chaire que dans les livres, que la distinction des aliments et les autres
distinctions de ce genre, d'origine humaine, sont utiles pour mériter
la grâce et pour offrir des satisfactions pour le péché.
Pour cette raison on inventait chaque jour de nouveaux jeûnes, de
nouveaux exercices de piété, de nouveaux ordres monastiques,
etc. ; on insistait sur ces choses avec beaucoup de véhémence,
comme si ces pratiques étaient des cultes obligés, par l'observance
desquels on pouvait mériter la grâce, et comme si on commettait
un gros péché en les négligeant. De là
sont nées beaucoup d'erreurs pernicieuses dans l'Église.
Premièrement, par ces pratiques
on a obscurci la grâce du Christ et la doctrine de la foi.
Or c'est sur ces vérités que l'Évangile insiste avec
le plus de force ; il nous engage sérieusement à reconnaître
la haute valeur du mérite de Jésus-Christ, et à mettre
la foi en Christ bien au-dessus de toutes les oeuvres. Voilà
pourquoi l'apôtre saint Paul s'est élevé avec véhémence
contre la loi mosaïque et contre les traditions humaines, afin que
nous apprenions bien que nous ne sommes pas justifiés devant Dieu
par le moyen de nos oeuvres, mais uniquement par la foi en Christ : lorsque
nous croyons que nous obtenons la grâce à cause de Lui seul.
Cette doctrine a été presque totalement étouffée
par suite de cet enseignement qui voulait qu'on mérite la grâce
au moyen d'ordonnances, de jeûnes, de distinctions des aliments,
de vêtements, etc.
En deuxième lieu, ces traditions
ont aussi obscurci les commandements de Dieu, puisqu'on les élevait
bien au-dessus des commandements de Dieu. On croyait que la vie chrétienne
consiste entièrement à observer certaines fêtes, à
réciter certaines prières, à pratiquer certains jeûnes,
à endosser un vêtement particulier. On appelait cela
une vie chrétienne, spirituelle. En échange, on considérait
d'autres oeuvres, tout à fait nécessaires et bonnes, comme
une activité mondaine, dépourvue de spiritualité :
à savoir, les devoirs que chacun est redevable d'accomplir, selon
sa vocation, tels que ceux du père de famille qui travaille pour
nourrir sa femme et ses enfants, et qui les élève dans la
crainte de Dieu ; ou les oeuvres de la mère de famille qui met au
monde ses enfants et qui les entoure de ses soins ; ou celles d'un prince
ou de magistrats qui gouvernent le pays et les sujets, etc. Il a
fallu que toutes ces oeuvres pourtant commandées par Dieu passent
pour être des choses mondaines et imparfaites, mais que par contre
les traditions aient le renom superbe d'être seules des oeuvres saintes
et parfaites. D'où il vient qu'on inventaient sans fin ni
mesure des traditions nouvelles.
En troisième lieu, ces traditions
ont fini par peser lourdement sur les consciences. Car il n'était
pas possible de les observer toutes ; et pourtant les gens étaient
dans l'opinion que ces observances étaient nécessaires pour
servir Dieu. Gerson écrit, qu'à cause de cela beaucoup
sont tombés dans le désespoir. Plusieurs même
se sont suicidés pour n'avoir pas été consolés
par la prédication de la grâce de Jésus-Christ.
On voit chez les « Sommistes » (auteurs de recueils sommaires
des traditions) et autres théologiens, dans quel embarras se trouvaient
les consciences. Ces théologiens ont entrepris de codifier
les traditions et ont cherché des adoucissements pour soulager les
consciences. Avec cela ils ont eu tant à faire, qu'entre temps
toute la doctrine chrétienne vraiment salutaire au sujet de choses
bien plus nécessaires telles que la foi, la consolation dans les
tentations sévères, etc., étaient tombée dans
l'oubli. Déjà avant nous, bon nombre de gens pieux
se sont plaints de ce que ces traditions engendrent force querelles dans
l'Église, et que des âmes pieuses sont empêchées
par là de parvenir à la vraie connaissance de Christ.
Gerson et d'autres ont élevé de vives plaintes à ce
sujet ; il déplut déjà à saint Augustin qu'on
chargeât les consciences de joug de tant de traditions. Aussi
ne manque-t-il pas d'avertir qu'on ne doit pas les tenir pour obligatoires.
Ce n'est donc nullement par arrogance
ou par mépris du pouvoir spirituel que nous avons traités
ces matières ; mais une nécessité impérieuse
nous a contraints de dénoncer les erreurs mentionnées ci-dessus,
qui sont nées d'une fausse conception des traditions. Car
l'Évangile nous presse de prêcher avec insistance dans les
églises la doctrine de la foi. Or on ne saurait avoir l'intelligence
de cette doctrine tant qu'on s'imagine qu'on peut mériter la grâce
par des oeuvres de son propre choix.
Ainsi donc nous avons enseigné
que l'observation des traditions humaines ne peut ni mériter la
grâce, ni réconcilier Dieu avec nous, ni expier nos péchés
; et que par conséquent on ne doit pas en faire un culte obligé.
Nous justifions cette attitude par l'Écriture Sainte. Jésus-Christ,
Matth. 15, 3. 9, excuse les apôtres qui n'ont pas observé
les traditions usuelles ; puis il ajoute : « C'est en vain qu'ils
m'honorent par des commandements d'hommes ». S'il dit que ce
genre de culte est vain il en résulte qu'il n'est pas obligatoire.
Puis il ajoute encore : « Ce qui entre dans la bouche ne souille
pas l'homme ». De même, l'apôtre saint Paul s'exprime
ainsi, Rom. 14, 17 : « Le Royaume des cieux ne consiste pas dans
le manger et le boire ». Col. 2, 16 : « Personne ne doit
vous juger à propos du manger et du boire, ou à l'égard
d'une fête, ou d'une nouvelle lune ou d'un sabbat ».
Saint Pierre dit, Actes 15, 10 : « Pourquoi tentez-vous Dieu en imposant
aux disciples un joug que ni nos pères ni nous n'avons pu supporter?
Mais nous croyons que par la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ
nous serons sauvés ». Voilà donc Pierre qui défend
qu'on impose aux consciences l'obligation d'observer de nombreuses cérémonies
extérieures, qu'elles soient prescrites par Moïse ou par d'autres.
Dans la première Épître à Timothée 4,
1-3, ces sortes d'ordonnances, comme d'interdire certains aliments ou de
prohiber le mariage, etc., sont nommées « doctrines des démons
». Car en effet, c'est s'opposer directement à l'Évangile
que de prescrire ou de faire ces sortes d'oeuvres dans le but de mériter
la rémission des péchés, ou comme si l'on ne pouvait
pas être un chrétien sans pratiquer de pareils cultes.
Quant aux reproches que l'on fait aux
nôtres en prétendant qu'ils interdisent -- à l'instar
de Jovinien -- la mortification de la chair et la discipline du corps :
on trouvera, en examinant leurs écrits, qu'il en est tout autrement.
Car ils ont toujours enseigné la doctrine de la croix chrétienne,
à savoir que les chrétiens sont obligés de souffrir.
Voilà une mortification véritable et sérieuse et non
simulée.
En outre, nous enseignons que chacun
doit discipliner son corps, par le jeûne ou par d'autres exercices,
pour ne pas donner lieu au péché, mais non pas pour mériter
la grâce par ces oeuvres. Cette discipline corporelle doit
s'exercer constamment, et non pas seulement en certains jours déterminés.
C'est là ce que dit Jésus, Luc 21, 34 : « Prenez garde
que vos coeurs ne soient appesantis par les excès ».
Et, Matth. 17, 21 : « Ces démons ne peuvent être chassés
que par le jeûne et la prière ». Saint Paul dit,
I Cor. 9, 27, qu'il traite durement son corps et le tient assujetti.
Il indique ainsi que la mortification du corps doit servir, non pas à
mériter la grâce, mais à maintenir le corps dans une
disposition qui ne fasse point obstacle à ce qui est exigé
de chacun par le devoir de sa vocation. Donc nous ne rejetons nullement
le jeûne ; ce que nous condamnons, c'est que, au plus grand embarras
des consciences, on en a fait un culte obligatoire en prescrivant certains
jours et en proscrivant certains aliments.
Au reste, on observe chez nous beaucoup
de rites et de traditions qui servent au maintien de l'ordre dans l'Église,
par exemple l'ordre de la Messe, les chants, les fêtes, etc.
Mais nous avertissons le peuple que ce culte extérieur ne confère
pas la justice devant Dieu, et qu'on doit le pratiquer sans en faire une
charge pour la conscience ; cela veut dire que si on omet ces pratiques
sans causer du scandale, on ne commet pas de péché.
Les Pères anciens, eux aussi, ont observé cette liberté
dans les cérémonies extérieures. En Orient,
on ne célébrait pas la fête de Pâques en même
temps qu'à Rome ; et comme quelques-uns prétendaient que
cette divergence constituait un schisme dans l'Église, les autres
leur ont fait comprendre qu'il n'est nullement nécessaire qu'il
y ait conformité dans ces sortes de coutumes. Irénée
s'exprime ainsi : « La diversité des jeûnes ne rompt
pas l'unité de la foi ». De même le Pape Grégoire
déclare, Distinct. XII, qu'une telle divergence dans les observances
humaines n'est pas incompatible avec l'unité de l'Église
chrétienne. L'Histoire Tripartite, Livre 9, rassemble un grand
nombre de coutumes divergentes de l'Église, et elle fait cette remarque
opportune et conforme à l'esprit chrétien : « L'intention
des apôtres n'a pas été d'instituer des jours de fête,
mais d'enseigner la foi et la charité ».
Article 27. -- Des Voeux Monastiques
En parlant des voeux monastiques, il
convient tout d'abord de considérer comment ils ont été
pratiqués, ce qui se passait dans les couvents, et comment on y
a fait tous les jours beaucoup de choses non seulement contraires à
la Parole de Dieu, mais aussi en opposition avec le Droit des Papes.
Du temps de saint Augustin l'état monastique était libre.
Plus tard, la bonne discipline et la saine doctrine s'étant corrompues,
on inventa les voeux monastiques, voulant ainsi rétablir la discipline
par l'intervention de cette espèce de prison. En plus on a
imaginé, à côté des voeux monastiques, beaucoup
d'autres règles, qui formèrent autant de chaînes et
de fardeaux dont on accabla bien des gens, même avant l'âge
convenable.
Bon nombre de personnes aussi se sont
engagées dans la vie monastique par ignorance, qui, bien que n'étant
pas trop jeunes, s'étaient fait illusion sur leur force. Eux
tous, ainsi pris au piège et enchaînés par les voeux,
ont été forcés et contraints de rester dans ces liens,
malgré que le Droit papal lui-même accorde la liberté
a beaucoup d'entre eux. Cet état des choses était plus
pénible encore dans les couvents de femmes que dans les couvents
pour hommes, alors qu'il convenait de traiter avec ménagement le
sexe plus faible. Déjà dans le passé, cette
rigide sévérité a déplu à beaucoup de
personnes pieuses, qui voyaient bien que si l'on enfermait des garçons
et des filles dans les couvents, c'était pour leur assurer la subsistance
matérielle. On voyait aussi le mauvais succès de ces
mesures, quels scandales, quelles tortures de conscience en résultaient
; et beaucoup ont déploré que dans une affaire si délicate
on n'ait eu aucun égard aux Canons de l'Église.
Il s'y ajoute, qu'on s'est fait au sujet
des voeux monastiques une opinion exagérée, connue de tous,
et qui déplut aussi à beaucoup de moines qui avaient un peu
de bon sens. Car on prétendait que les voeux monastiques sont
équivalents au Baptême, et que par la vie monastique on mérite
la rémission des péchés et la justification avec Dieu.
Ils allèrent même jusqu'à affirmer que non seulement
par la vie monastique on acquiert la justice et la piété,
mais qu'en même temps on accomplit « les commandements et les
conseils contenus dans l'Évangile » ; et ainsi les voeux monastiques
furent élevés au-dessus du Baptême. Ils ajoutèrent
aussi que par la vie monastique on acquiert plus de mérites que
par n'importe quel autre état établi par Dieu tel que celui
d'un curé, d'un prédicateur, d'un magistrat, d'un prince,
d'un seigneur, etc. qui, en accomplissant les devoirs de leur vocation,
vivent tous selon le commandement et la Parole de Dieu et non dans une
spiritualité factice. Tout cela ne peut pas être nié,
puisqu'on le trouve dans leurs propres livres. Par surcroît,
celui qui était ainsi pris et enfermé dans le couvent apprenait
peu de choses au sujet de Christ.
Autrefois, on tenant dans les couvents
des écoles dans lesquelles on enseignait les Saintes Écritures
et d'autres sciences utiles à l'Église chrétienne
; si bien, que c'était aux couvents qu'on prenait les pasteurs et
les évêques. Mais aujourd'hui, tout cela a changé.
Jadis on vivait ensemble au couvent pour apprendre les Saintes Écritures.
Maintenant on prétend que la vie monastique est un moyen par lequel
on mérite la grâce et la justice devant Dieu ; oui, on dit
même qu'elle est un état de perfection, et on la déclare
bien supérieure aux autres états qui, eux, sont institués
de Dieu. Tout ce que nous rapportons ici n'a rien d'une diffamation
; nous le disons pour que l'on comprenne d'autant mieux ce que nous prêchons
et enseignons sur ce sujet.
Premièrement -- quant à
ceux qui contractent pour le mariage -- nous enseignons que tous ceux qui
ne sont pas faits pour le célibat ont la liberté et le droit
de se marier. Car les voeux ne sauraient abolir l'institution et
le commandement de Dieu. Or le commandement divin dit expressément,
I Cor. 7, 2 : « Pour éviter l'impudicité, que chacun
ait sa femme, et que chaque femme ait son mari ». Ce n'est
pas seulement le commandement de Dieu, mais aussi l'ordre de la nature,
établi lors de la Création, qui contraint, oblige, et pousse
au mariage tous ceux qui n'ont pas reçu de Dieu le don particulier
de la virginité, -- selon la parole même de Dieu, Genèse
2, 18 : « Il n'est pas bon que l'homme soit seul ; je lui ferai une
aide semblable à lui ». Que peut-on objecter à
cela ? On vantera, on exaltera en termes aussi pompeux qu'on voudra
les voeux et les devoirs monastiques ; mais on n'obtiendra jamais que les
voeux suppriment le commandement de Dieu. Si déjà,
de l'avis des docteurs, les voeux ne sont pas obligatoires lorsqu'ils se
font à l'encontre du Droit du Pape, à plus forte raison ne
sauraient-ils être obligatoires et prévaloir contre le commandement
de Dieu.
S'il y avait des raisons d'ordre divin
pour ne pas annuler les voeux, les papes n'auraient jamais pu accorder
ces dispenses, à l'encontre d'un commandement de Dieu.
Car il n'est permis à aucun homme d'annuler un engagement qui dérive
d'un droit divin. Aussi les papes ont-ils fort bien compris qu'en
ce qui concerne l'obligation des voeux, il convient de s'inspirer d'une
certaine équité. Et en effet, ils ont souvent accordé
des dispenses, par exemple au roi d'Aragon, et à bien d'autres.
Si donc on en a accordé pour des raisons d'intérêt
temporel, à plus forte raison convient-il de le faire dans l'intérêt
des âmes en détresse.
Ensuite, pourquoi nos adversaires insistent-ils
tant sur la nécessité de tenir les voeux, sans s'assurer
au préalable si le voeu est légitime ? Car un voeu
n'est valable que s'il y a possibilité de l'accomplir. De
plus, il doit être libre, et non contraint. Or on sait combien
peu il est au pouvoir de l'homme de vivre dans une chasteté perpétuelle.
De même, il y a peu d'hommes et de femmes qui aient fait leur voeu
monastique de leur propre initiative, de plein gré et après
mure réflexion. On persuade les jeunes gens à prendre
les engagements monastiques avant même qu'ils aient atteint l'âge
de discrétion. Quelquefois on les presse, on les contraint.
Il est donc injuste d'insister avec tant de hâte et de rigueur sur
le devoir de tenir les voeux, vu que, de l'aveu de tous, il est contraire
à la nature et au caractère de voeu de s'y engager contre
sa propre volonté et sans avoir mûrement réfléchi.
Certains Canons et plusieurs édits
des papes annulent les voeux faits avant l'âge de quinze ans, jugeant
qu'avant cet âge, on n'a pas assez de discernement pour prendre une
décision par laquelle on s'engage pour toujours à suivre
un genre de vie déterminé. Un autre Canon accorde à
la faiblesse humaine encore quelques années de plus en défendant
de faire des voeux avant l'âge de dix-huit ans. Selon ce Canon
donc, la plupart des moines et des nonnes auraient suffisamment de motifs
et seraient parfaitement justifiés en quittant leurs couvents, puisque
la plupart d'entre eux y sont généralement entrés
dans leur jeunesse, avant d'avoir atteint cet âge.
Finalement, à supposer même
que ceux qui rompent leurs voeux soient blâmables, il n'en suivrait
pas qu'on doit dissoudre le mariage qu'ils ont contracté par la
suite. Car saint Augustin dit que ces sortes de mariages ne doivent
pas être rompus (Nuptiarum, ch. I, qu. 27). Or saint Augustin
jouit d'une grande réputation dans l'Église, -- quoique certains
après lui n'aient pas partagé son avis.
Maintenant, quoique le commandement
de Dieu concernant le mariage affranchisse déjà un grand
nombre de moines de leurs voeux, les nôtres prouvent par d'autres
raisons encore que les voeux monastiques sont nuls et sans valeur : Tout
culte établi et choisi par les hommes, en dehors de tout commandement
de Dieu, pour obtenir la justice et pour mériter la grâce
de Dieu, est en opposition directe contre Dieu, et contraire à son
Évangile et à son commandement. Christ lui- même
l'a dit, Matth. 15, 9 : « C'est en vain qu'ils me servent par des
commandements d'hommes ». Saint Paul aussi enseigne continuellement
qu'on ne doit pas chercher à obtenir la justice par le moyen de
cultes et de prescriptions inventés par les hommes, mais que la
justice et la sainteté valables devant Dieu viennent de la foi et
de la confiance : lorsque nous croyons que Dieu nous reçoit en grâce
pour l'amour de Jésus-Christ son Fils unique.
Cependant, tout le monde sait que les
moines prêchaient publiquement que leur spiritualité imaginaire
a la vertu de satisfaire pour le péché et de procurer la
grâce de Dieu et la justice. Que fait-on en enseignant une
telle doctrine, sinon diminuer la gloire et le prix de la grâce du
Christ et renier la justice de la foi ? Il en résulte donc
que ces sortes de voeux sont des cultes impies et faux. Par là
même ils cessent d'être obligatoires, puisqu'un engagement
impie et contraire à la loi divine est nul et sans valeur ; car,
comme l'affirment aussi les Canons, un serment ne doit jamais nous obliger
à pécher.
Saint Paul dit aux Galates, ch. 5, 4
: « Vous êtes séparés de Christ, vous qui voulez
être justifiés par la loi, et vous êtes déchus
de la grâce ». Donc ceux qui veulent devenir justes par
des voeux sont séparés de Christ et sont déchus de
la grâce de Dieu. Car ils ravissent la gloire à Christ,
qui peut seul rendre juste, et ils attribuent cette gloire à leurs
veux et à leur moinerie.
On ne peut pas le nier : Les moines
ont prêché et enseigné que par leurs voeux et leur
observation des règles monastiques ils acquièrent la justice
et méritent la rémission des péchés.
Ils ont même inventé d'autres absurdités encore bien
plus ridicules. Ils ont prétendu qu'ils pouvaient communiquer
leurs mérites à des tiers ! Si quelqu'un voulait raconter
sans ménagement toutes les sottises des moines et les clouer au
pilori, que d'inepties de ce genre pourrait-il accumuler ! Choses
dont les moines eux-mêmes ont maintenant honte et qu'ils voudraient
désavouer. Par surcroît, les moines ont aussi fait accroire
aux gens que leurs soi-disant ordres spirituels constituent la «
perfection chrétienne ». Voilà ce qu'on appelle
glorifier les oeuvres, comme si par elles nous étions justifiés.
Vraiment, c'est un grand scandale dans l'Église que de proposer
au peuple un pareil culte inventé par les hommes, sans aucun commandement
de Dieu, et d'enseigner qu'un culte de cet espèce rend les hommes
justes et saints devant Dieu. Car la justice de la foi, qui ne saurait
être trop prêché dans l'Église, est obscurcie
lorsqu'on fait briller devant les yeux du peuple cet étrange spiritualité
angélique et cette fausse apparence de pauvreté, d'humilité
et de chasteté.
En outre, les commandements de Dieu
et le véritable culte qui lui est dû, sont obscurcis lorsqu'on
enseigne aux gens que seuls les moines se trouvent dans l'état de
perfection. Car la vraie perfection chrétienne consiste à
craindre Dieu sincèrement et de tout son coeur, et à avoir
quand même la ferme confiance du coeur et la foi par laquelle nous
sommes assurés que, grâce à Christ, nous avons un Dieu
favorable et miséricordieux, et que nous pouvons et devons demander
à Dieu tout ce dont nous avons besoin, persuadés que nous
obtiendrons de Lui -- chacun dans son état et sa vocation -- le
secours dans toutes les adversités. En même temps nous
devons, avec zèle, nous appliquer à la pratique extérieure
de bonnes oeuvres et nous acquitter des devoirs de notre vocation.
Voilà en quoi consiste la vraie perfection et le véritable
culte, -- et non pas dans laa mendicité, out dans le port d'un froc
gris ou noir, etc. Mais à force d'entendre les fausses louanges
de la vie monastique, le peuple dans sa simplicité conçoit
beaucoup d'opinions nuisibles. Lorsqu'ils entendent ainsi exalter
outre mesure l'état célibataire, c'est forcément avec
une conscience troublée qu'ils vivront dans le mariage. De
même, si l'homme du peuple entend dire que seuls les mendiants sont
parfaits, il ne peut pas savoir qu'il lui est permis de posséder
des biens et qu'il peut sans péché travailler. Si le
peuple entend que de renoncer à la vengeance n'est qu'un «
Conseil », quelques-uns en concluront que la vengeance exercée
en dehors d'une fonction publique n'est pas un péché.
D'autres croiront au contraire que la vengeance n'est jamais permise aux
chrétiens, pas même au magistrat.
L'histoire rapporte aussi beaucoup de
cas où plusieurs ont quitté femme et enfants, et même
résigné leur gouvernement et leur charge, pour s'enfermer
dans des couvents. C'est qu'ils ne pouvaient savoir qu'il faut servir
Dieu en accomplissant les commandements qu'il a donnés, et non pas
des commandements imaginés par des hommes. Or, n'est un genre
de vie parfait que celui qui a pour lui le commandement de Dieu ; tandis
que tout genre de vie qui n'a pas pour lui le commandement de Dieu est
dangereux. Voilà des vérités au sujet desquelles
il était urgent d'instruire le peuple.
Gerson, lui aussi, a sévèrement
blâmé en son temps cette erreur des moines concernant la perfection,
et il témoigne que de son temps c'était un langage nouveau
que d'appeler la vie monastique un « état de perfection ».
Que d'erreurs et d'opinions impies se
rattachent aux veux monastiques : On leur attribue la vertu de rendre l'homme
juste et saint devant Dieu, de constituer la perfection chrétienne,
d'accomplir à la fois « les commandements et les Conseils
de l'Évangile », et de posséder un surplus de bonnes
oeuvres dont on n'était pas redevable devant Dieu. Puisque
donc tout cela n'est qu'invention, mensonge et vanité, les voeux
monastiques sont nuls et n'obligent personne.
Article 28. -- Du Pouvoir des Évêques
Anciennement on aa beaucoup écrit
sur le pouvoir des évêques, et plusieurs ont maladroitement
confondu le pouvoir spirituel des évêques et la puissance
temporelle du glaive. Cette confusion a engendré de grandes
guerres, des soulèvements et des émeutes. Car les évêques,
sous le couvert du pouvoir qui leur a été donné par
Christ, ont non seulement introduit de nouveaux cultes, et accablé
les consciences au moyen de la « réservation de certains cas
» et de l'emploi brutal de l'excommunication ; mais ils ont même
osé installer et destituer des rois et des empereurs selon leur
bon plaisir. Ces pratiques criminelles ont été sévèrement
blâmées au sein de l'Église chrétienne, il y
a très longtemps déjà, par des hommes réputés
pour leur science et leur piété. Donc, pour rassurer
les consciences, nos docteurs se sont vus obligés de démontrer
la différence qui existe entre le pouvoir spirituel et le pouvoir
temporel auquel appartient le droit du glaive et du gouvernement ; et ils
ont enseigné que les deux pouvoirs sont à honorer avec vénération,
à cause du commandement de Dieu, et qu'ils sont à considérer
comme les deux plus grands bienfaits divins dont nous jouissons sur terre.
Les nôtres enseignent que le Ministère
des Clefs, ou le Pouvoir des évêques, consiste, selon l'Évangile,
de pardonner ou retenir le péché et d'administrer les sacrements.
Car Jésus-Christ a envoyé les apôtres avec ce commandement,
Jean 20, 21 : « Comme mon Père m'a envoyé, je vous
envoie aussi. Recevez le Saint-Esprit ; ceux à qui vous remettrez
les péchés, ils leur seront remis. Ceux à qui
vous les retiendrez, ils leur seront retenus ».
Ce Pouvoir des clefs, ou des évêques,
ne peut être exercé que par le moyen de l'enseignement et
de la prédication de la Parole de Dieu et par l'administration des
sacrements, selon la vocation de chacun, soit en public, soit en privé.
Car il sert, non pas a conférer des biens matériels, mais
des biens éternels, à savoir la Justice, le Saint-Esprit
et la Vie éternelle. Ces biens ne peuvent s'obtenir que par
le Ministère de la Prédication et par l'administration des
saints Sacrements. Car saint Paul dit, Rom. 1, 16 : « L'Évangile
est une puissance de Dieu pour sauver tous ceux qui croient ».
Puisque donc le pouvoir de l'Église,
ou des évêques, confère des biens éternels,
puisqu'il n'est exercé que par le ministère de la prédication,
il ne gène donc en rien le pouvoir civil et le gouvernement temporel.
Car le gouvernement civil s'occupe de toute autre chose que de l'Évangile,
puisqu'il protège, non pas les âmes, mais les corps et les
biens des sujets contre la violence matérielle, au moyen de l'épée
et des châtiments corporels.
Il faut donc se garder de mêler
et de confondre les deux pouvoirs, le temporel et le spirituel. Car
le pouvoir spirituel a la mission particulière de prêcher
l'Évangile et d'administrer les Sacrements. Il ne doit jamais
empiéter sur un domaine autre que le sien. Il ne doit pas
établir ou destituer des rois ; il ne doit pas abolir les lois civiles,
ni corrompre l'obéissance due aux autorités ; il ne doit
pas s'immiscer dans les affaires civiles, ni faire la loi au pouvoir temporel.
Christ lui-même a dit, Jean 18, 36 : « Mon royaume n'est pas
de ce monde ». Et aussi, Luc 12, 14 : « Qui est-ce qui
m'a établi juge parmi vous ? ». Et saint Paul, Phil.
3, 20 : « Notre cité à nous est dans les cieux ».
Et 2 Cor. 10, 4 : « Les armes avec lesquelles nous combattons ne
sont pas charnelles, mais elles sont puissantes par la vertu de Dieu pour
renverser les machinations de l'ennemi et toute hauteur qui s'élève
contre la connaissance de Dieu ».
Telle est la distinction que font les
nôtres entre les fonctions des deux pouvoirs, et ils recommandent
qu'on les honore tous les deux comme le don le plus précieux dont
nous jouissons sur terre.
S'il arrive que des évêques
possèdent aussi le gouvernement temporel et tienne l'épée,
ce n'est pas par droit divin ni en qualité d'évêques
qu'ils possèdent ce pouvoir, mais par droit humain, impérial,
puisqu'ils le tiennent des rois et des empereurs pour l'administration
civile de leurs possessions. Ces fonctions n'ont rien à voir
avec le ministère de l'Évangile.
Donc, le ministère épiscopal,
en tant que ministère de droit divin, consiste à prêcher
l'Évangile, à pardonner les péchés, à
juger la doctrine, à rejeter la doctrine contraire à l'Évangile,
à exclure de l'Église chrétienne les impies dont l'impiété
est manifeste, sans violence, uniquement par le moyen de la Parole de Dieu.
Dans ces choses, les laïques et les églises doivent obéissance
aux évêques, selon la parole de Christ, Luc 10, 16 : «
Celui qui vous écoute, m'écoute ». Mais si les
évêques s'avisent d'enseigner ou d'instituer des choses contraires
à l'Évangile, le commandement de Dieu, dans ce cas, nous
défend d'obéir : Matth. 7, 15 : « Gardez-vous des faux
prophètes ». Saint Paul aux Galates, ch. 1, 8 : «
Si nous-mêmes ou un ange du ciel vous annonçait un autre Évangile
que celui que nous vous avons prêché, qu'il soit maudit ».
2 Cor. 13, 8, 10 : « Nous n'avons point de pouvoir contre la vérité,
mais pour la vérité... Selon le pouvoir que le Seigneur
m'a donné pour édifier, non pour détruire ».
Le Droit canonique prescrit la même chose (Qu. 2, chap. 7, «
Sacerdotes » et chap. « Oves »). Et saint Augustin
écrit : «Lorsque les évêques sont dans l'erreur,
lorsqu'ils enseignent ou édictent quelque chose qui est contraire
à l'Écriture Sainte, on ne doit pas leur obéir, même
s'ils sont régulièrement élus ».
Quant aux pouvoirs judiciaires des évêques,
notamment en matière de mariage et de dîmes, ils ne les exercent
qu'en vertu du droit humain. Si les Ordinaires négligent ces
devoirs, les princes sont obligés -- que cela leur plaise ou non
-- d'exercer eux-mêmes la justice parmi leurs sujets, dans l'intérêt
de la paix publique et pour éviter des désordres dans leurs
pays.
Il y a aussi de sérieuses discussions
pour savoir si les évêques ont le droit d'introduire des cérémonies
dans l'Église, s'ils peuvent imposer des ordonnances sur les aliments,
sur les jours fériés, sur l'organisation hiérarchique
du clergé. Ceux qui accordent ce pouvoir aux évêques
s'appuyent sur cette parole de Christ, Jean 16, 12 : « J'ai encore
beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas le supporter
maintenant. Mais quand l'Esprit de Vérité sera venu,
il vous conduira dans toute la vérité ». Ils
invoquent aussi l'exemple des apôtres, Actes 15, 20. 29, où
ceux-ci décrétèrent qu'on devait s'abstenir de sang
et des viandes étouffées. On fait observer aussi que
le dimanche a été substitué au sabbat, contrairement
-- à ce qu'ils pensent -- au Décalogue. Il n'y a pas
d'exemple qu'on fasse valoir autant que celui du changement du jour du
sabbat, pour prouver que le pouvoir de l'Église est si grand qu'elle
a pu même modifier les Dix Commandements et dispenser de les observer.
Nos docteurs par contre enseignent que
les évêques n'ont pas le pouvoir d'instituer ou d'établir
quoi que se soit qui soit opposé à l'Évangile, comme
d'ailleurs nous l'avons démontré plus haut ; et comme en
fait preuve aussi toute la IX. Distinction du Droit canonique. Or,
il est manifestement contraire à la parole et au commandement de
Dieu de faire ou d'imposer des lois et de prétendre qu'en les observant
on fait satisfaction pour les péchés et qu'on obtient la
grâce. Car c'est outrager Christ et son glorieux mérite
que d'entreprendre de mériter la grâce par l'observation de
telles ordonnances.
Il est incontestable que par suite de
cette prétention, l'Église chrétienne a été
inondée d'ordonnances, tandis que la doctrine de la foi et la justification
par la foi étaient supprimées. Tous les jours on ordonnait
de nouvelles fêtes, de nouveaux jeûnes, de nouveaux rites,
de nouvelles vénérations de saints, en vue d'acquérir
par ces oeuvres la grâce et tous les dons de Dieu.
En outre, les fauteurs d'ordonnances
se mettent en opposition contre le commandement divin en déclarant
péché toute infraction à leurs règles concernant
les aliments, les jours, etc., opprimant ainsi la chrétienté
par la servitude de la loi ; comme si les chrétiens devaient posséder
un culte semblable au culte lévitique afin de mériter la
grâce divine. On prétend même que c'est Dieu qui
aurait ordonné aux apôtres et aux évêques d'établir
ce culte. Voilà en effet ce que quelques-uns ont écrit.
On peut très bien s'imaginer que plusieurs des évêques
ont été séduits par le précédent de
la Loi de Moïse, et que c'est de là que viennent tant d'innombrables
ordonnances. En voici quelques exemples : On déclarait péché
mortel le travail manuel aux jours fériés, même s'il
se faisait sans scandale pour le prochain. On prétendait que
c'est un péché mortel de ne pas observer les heures canoniques
; que certains aliments souillent la conscience ; que les jeûnes
sont des oeuvres par lesquelles on obtient la réconciliation avec
Dieu ; que dans les cas « réservés » le péché
ne peut être pardonné à moins qu'on ne s'adresse auparavant
à celui qui a réservé le cas, -- et pourtant, selon
le Droit canonique, cette réservation ne s'applique pas du tout
à la faute elle- même, mais aux peines ecclésiastiques.
D'où les évêques
tirent-ils le droit et le pouvoir d'imposer à la chrétienté
de pareilles ordonnances pour enchaîner les consciences ? Alors
que saint Pierre, dans les Actes des Apôtres (ch. 15, 10), défend
d'imposer un joug aux disciples, et saint Paul dit aux Corinthiens (2 Cor.
13, 10) que le Seigneur a donné aux apôtres le pouvoir d'édifier,
et non celui de détruire ! Pourquoi donc multiplient-ils le
péché par leurs ordonnances ?
D'autre part, nous avons de claires
paroles de l'Écriture divine qui nous défendent d'établir
des règles de ce genre, en prétendant qu'elles sont nécessaires
au salut et qu'elles servent à mériter la grâce de
Dieu. C'est ainsi que saint Paul dit, Col. 2, 16 et 20 : «
Que personne ne vous juge au sujet du manger et du boire, ou au sujet d'une
fête, d'une nouvelle lune, ou des sabbats ; c'était l'ombre
des choses à venir, mais le corps est en Christ ». Et
: « Si vous êtes morts avec Christ aux rudiments du monde,
pourquoi vous laissez-vous imposer ces préceptes : Ne prends
pas, ne goûte pas, ne touche pas ? Préceptes qui tous
deviennent pernicieux par l'abus, et qui ne sont fondés que sur
les ordonnances et les doctrines des hommes, quoiqu'ils se donnent l'apparence
de la sagesse ». De même, saint Paul (Tite 1, 14) défend
franchement de s'attacher à des fables judaïsantes et à
des commandements d'hommes qui se détournent de la vérité.
Jésus lui-même, parlant de ceux qui imposent aux gens des
commandements d'hommes, dit : « Laissez- les ; ce sont des aveugles
qui conduisent des aveugles ». Et, condamnant ce genre de culte
: « Toute plante que n'a pas plantée mon Père céleste
sera déracinée » (Matth. 15, 14. 13).
Si donc les évêques avaient
le pouvoir de surcharger les églises et de tyranniser les consciences
par d'innombrables ordonnances, pourquoi alors la Parole de Dieu interdit-elle
si souvent de faire ou de suivre ces ordonnances humaines ? Pourquoi
les appelle-t-elle des doctrines de démons ? Serait-ce donc
en vain que le Saint-Esprit nous a adressé tant d'avertissements
?
C'est pourquoi, comme de telles ordonnances,
instituées comme des choses nécessaires afin de réconcilier
Dieu et de mériter la grâce, sont contraires à l'Évangile,
il n'appartient aucunement aux évêques d'imposer violemment
ces sortes de cultes. Car il est absolument nécessaire que
l'on maintienne dans la chrétienté la doctrine de la liberté
chrétienne, selon laquelle la servitude de la Loi n'est pas nécessaire
pour la Justification. Saint Paul dit aux Galates (ch. 5, 1) : «
Demeurez fermes dans la liberté dont Christ nous a affranchis, et
ne vous laissez pas mettre de nouveau sous le joug de la servitude ».
Car sans nul doute, il faut que soit maintenu l'article principal de l'Évangile,
à savoir que nous recevons la grâce de Dieu par la foi en
Christ, sans aucun mérite de notre part, et que nous ne pouvons
pas la mériter par un culte institué par les hommes.
Que faut-il penser alors de l'institution
du dimanche et d'autres rites et règlements de ce genre ?
Voici la réponse des nôtres : Il est permis aux évêques
et aux pasteurs d'établir certaines règles pour maintenir
l'ordre dans l'Église, -- mais non pour obtenir la grâce,
ni pour faire satisfaction pour les péchés, ni pour imposer
ces règles aux consciences comme si c'était un culte nécessaire,
et comme si l'infraction à ces règles était un péché,
même si elle se fait sans scandale pour le prochain. Ainsi,
par exemple, saint Paul, dans la première Épître aux
Corinthiens (ch. 11, 5-6 ; ch. 14, 27), établit la règle
que dans l'assemblée les femmes aient la tête couverte, et
que les prédicateurs, dans l'assemblée, ne parlent pas tous
à la fois, mais dans l'ordre, chacun à son tour.
L'amour chrétien et l'intérêt
de la paix obligent l'assemblée chrétienne à observer
ces sortes de règlements, et à obéir dans ces cas
aux évêques et aux pasteurs, afin d'éviter tout scandale
ainsi que le désordre et la confusion dans l'Église ; mais
il faut observer ces règles de manière à ce qu'elles
ne deviennent pas un fardeau pour les consciences, qu'on ne les considère
pas comme nécessaires au salut, et qu'on ne regarde pas comme un
péché l'infraction à ces règles, lorsqu'elle
se fait sans scandaliser le prochain : par exemple, personne ne dira qu'une
femme qui s'en va tête nue commet un péché, du moment
que personne n'en est scandalisé.
Il en est de même de la célébration
du dimanche, de la fête de Pâques, de la Pentecôte, et
d'autres fêtes. Ceux qui pensent que l'observation du dimanche
au lieu du sabbat a été introduite pour être obligatoire,
se trompent fort. Car les Saintes Écritures ont aboli le sabbat,
et elles enseignent que toutes les cérémonies de l'ancienne
Loi peuvent être supprimées depuis que l'Évangile est
survenu. Néanmoins, puisqu'il était nécessaire
d'établir un jour déterminé pour que le peuple pût
savoir quand il devait s'assembler, l'Église chrétienne à
désigné à cet effet le dimanche ; et elle a fait ce
changement d'autant plus volontiers qu'elle désirait donner aux
gens un exemple de liberté chrétienne, afin qu'on sût
qu'il n'est pas obligatoire d'observer soit le sabbat, soit un autre jour.
Il y a un grand nombre de vaines discussions
sur les modifications de la Loi, sur les cérémonies du Nouveau
Testament, sur le déplacement du sabbat, qui toutes sont nées
de l'erreur que voici : On croyait que la chrétienté devait
posséder un culte semblable au culte lévitique des Juifs,
et que le Christ avait ordonné aux apôtres et aux évêques
de créer de nouveaux rites, qui seraient nécessaires au salut.
Ces erreurs se sont infiltrées dans la chrétienté
à partir du moment où l'on cessait d'enseigner et de prêcher
purement et correctement la Justification par la Foi. Voici comment
quelques-uns discutent au sujet du dimanche : L'observation du dimanche,
disent- ils, n'est pas de droit divin, mais presque de droit divin ; puis
ils prescrivent le genre et la quantité de travail permis un jours
de fête. Que sont toutes ces subtilités, sinon des pièges
qu'on tend aux consciences ? Il est vrai qu'ils cherchent à
atténuer la rigueur des ordonnances humaines. Mais en réalité,
aucun adoucissement n'est efficace tant que persiste l'opinion que l'observation
de ces ordonnances est indispensable ; or, cette opinion persistera forcément
aussi longtemps qu'on ignore la doctrine de la Justice par la foi et de
la liberté chrétienne.
Les apôtres ont prescrit qu'il
faut s'abstenir du sang et des viandes étouffées. Qui
donc observe aujourd'hui cette règle ? Et pourtant ceux qui
ne l'observent pas ne commettent pas de péché ; car les apôtres
eux-mêmes n'ont pas voulu accabler les consciences avec une telle
servitude : ils n'ont établi cette règle que provisoirement
et pour que les chrétiens évitent de scandaliser leurs frères.
Car pour bien comprendre cette ordonnance, il faut bien garder en vue l'article
principal de la foi chrétienne, qui n'est pas annulé par
ce décret.
Presqu'aucun des anciens Canons n'est
observé à la lettre ; oui, beaucoup de leurs préceptes
tombent journellement en désuétude, même chez ceux
qui observent ces sortes de règles avec le plus grand zèle.
Il est impossible de venir en aide aux consciences, à moins qu'on
n'applique cet adoucissement qui consiste à savoir que l'observance
de ces règles n'est nullement obligatoire, et qu'il ne peut nuire
en rien aux consciences si l'on néglige ces ordonnances complètement.
Les évêques maintiendraient
facilement le peuple dans l'obéissance s'ils n'exigeaient pas qu'on
se soumette à ces ordonnances qu'on ne peut observer sans péché.
Mais voyez ce qu'ils font maintenant : Ils interdisent la communion sous
les deux espèces, ils interdisent le mariage des prêtres,
ils n'admettent personne avant qu'il n'ait juré de ne pas prêcher
cette doctrine que nous enseignons, qui pourtant est incontestablement
conforme à l'Évangile.
Nos églises ne demandent pas
que les évêques rétablissent la paix et l'unité
aux dépens de leur honneur et de leur dignité, bien qu'il
conviendrait aux évêques de faire ce sacrifice si besoin était.
Nous demandons seulement qu'ils renoncent à imposer certaines ordonnances
injustes et abusives, que l'ancienne Église n'a pas connues, et
qui ont été introduites à l'encontre de l'usage de
l'Église chrétienne universelle. Il se peut que primitivement
elles aient eu quelque raison d'être, mais elles ne conviennent plus
à notre époque. Il est indéniable que l'introduction
de plusieurs de ces prescriptions est dûe à un manque de bon
sens.
C'est pourquoi il convient que les évêques
fussent assez bienveillants pour atténuer les rigueurs des ordonnances,
d'autant plus que de telles modifications ne sauraient nuire à l'unité
de l'Église ; car beaucoup d'ordonnances d'origine humaine sont
tombées d'elles-mêmes au cours du temps, et il n'est pas nécessaire
de les observer, comme les Droits des Papes eux-mêmes en font foi.
Si cela n'est pas possible, s'ils refusent d'adoucir et d'abolir ces commandements
d'hommes qui ne peuvent pas être observés sans péché,
nous serons obligés de nous en tenir à la règle des
apôtres, Actes 5, 29, qui nous ordonne d'obéir à Dieu
plutôt qu'aux hommes !
Saint Pierre (I Pierre 5, 3) défend
aux évêques de dominer sur les églises, comme s'ils
avaient le pouvoir de les contraindre à tout ce qu'ils veulent.
Maintenant nous n'entreprendront pas de dépouiller les évêques
de leur autorité ; nous nous contenterons de demander et de supplier
qu'ils ne contraignent plus les consciences à pécher.
S'ils refusent, s'ils méprisent notre prière : qu'ils réfléchissent
bien qu'ils devront en rendre compte à Dieu, puisque par leur obstination
ils causeront la division et le schisme, alors qu'il serait de leur devoir
d'aider à le prévenir.