LE MOUVEMENT CHARISMATIQUE, par Dr. Wilbert Kreiss - index
ORIGINE ET HISTOIRE
On a l'habitude de distinguer entre "pentecôtisme" et "néo-pentecôtisme", ce dernier étant appelé aussi "renouveau charismatique". Le premier terme désigne une fraction du protestantisme et regroupe un certain nombre d'Eglises protestantes différentes des autres et qu'on appelle pour cela pentecôtistes. Quant au néo-pentecôtisme ou renouveau charismatique, il s'agit non pas d'une Eglise institutionnalisée et bien définie, mais plutôt d'un mouvement qui pénètre à l'heure actuelle la plupart des Eglises chrétiennes, aussi bien le catholicisme que le protestantisme.
1. Le pentecôtisme
Fondés sur l'Ecriture Sainte, les Réformateurs ont enseigné la nécessité d'une conversion personnelle par laquelle l'homme reçoit le pardon des péchés et devient ainsi un enfant de Dieu. Cette doctrine devint le cheval de bataille du piétisme. John Wesley, fondateur du méthodisme en Angleterre, au XIX siècle, assimilait la conversion à la "première bénédiction" par laquelle le croyant obtenait la justification, et affirmait qu'il avait besoin pour persévérer dans la foi et se sanctifier d'une "deuxième bénédiction". Le méthodisme dont il fut l'initiateur produisit des explosions d'effervescence religieuse, accompagnées de glossolalie. L'octroi de cette "deuxième bénédiction" s'accompagnait de transes, de danses sauvages et de contorsions.
Tandis que le méthodisme retrouvait en Angleterre une certaine sobriété, il donna naissance aux Etats-Unis, après la guerre de Sécession, aux "mouvements de sainteté". Naquirent alors les communautés des "barking saints" (saints qui aboient) et du "Holy Rollism" (de "holy" saint, et de "to roll" = se rouler). Cette deuxième bénédiction, expérience de foi exaltante, fut appelée le "baptême de l'Esprit". Certains mouvements de réveil parmi les baptistes s'approprièrent cette notion.
Des scissions eurent lieu dans le méthodisme américain de la fin du XIX siècle. Dans ces nouvelles communautés, l'idée d'une troisième expérience spirituelle fit son chemin. Elle ne concernait plus la sanctification et la persévérance du chrétien, mais le témoignage chrétien pour lequel on estimait qu'il était nécessaire de recevoir une mesure particulière du Saint-Esprit. Ainsi naquit le pentecôtisme dont on situe généralement la naissance à Topeka (Kansas) en janvier 1901, sous la direction du pasteur méthodiste Charles Parham. Un groupe d'étudiants de l'institut biblique de cette ville vécut ce qu'on appela une nouvelle Pentecôte: l'Esprit descendit sur le groupe en prière, l'un des participants se mit à parler en langues, bientôt imité par les autres. Le pentecôtisme était né. Sous l'influence de W.J. Seymour, pasteur baptiste noir et ancien élève de l'institut, le mouvement gagna Los Angeles et prit rapidement des dimensions nationales et internationales. Des communautés se fondèrent sur tout le continent américain, puis ailleurs dans le monde.
2. Le néo-pentecôtisme ou renouveau charismatique
Dans les années 50, la nécessité d'un renouveau se fit sentir dans de nombreuses Eglises américaines, sous l'influence du "Full Gospel Businessmen's Fellowship International" et du pasteur David du Plessis. En automne 1966, il atteignit le catholicisme. De nombreuses Eglises protestantes en furent également imprégnées. Signalons en particulier les communautés tziganes françaises. Tandis que le mouvement néo-pentecôtiste au sein du catholicisme se maintient dans le cadre de l'institution romaine et reste soumis aux autorités ecclésiastiques, il a dans le protestantisme une tendance sectaire nettement plus prononcée. L'accent est mis partout sur l' « effusion de l'Esprit » ou le « baptême dam l'Esprit » et on retrouve dans le néo-pentecôtisme ou renouveau charismatique tous les ingrédients du pentecôtisme classique, à cette différence près qu'on ne considère pas la glossolalie comme un signe indispensable de cette expérience religieuse. On baptise les adultes ou bien on les rebaptise, s'ils ont reçu le baptême dans leur enfance. Ce baptême est administré par immersion et généralement considéré comme la condition pour obtenir le "baptême dans l'Esprit". L'une des caractéristiques du mouvement charismatique est sa dimension oecuménique. On y est généralement fondamentaliste c'est-à-dire attaché à l'autorité de l'Ecriture Sainte, mais, par-delà les divergences doctrinales qui sont parfois très grandes, on voit dans l'expérience commune du "baptême dans l'Esprit" la condition suffisante et le signe visible de l'unité.
Sans doute y a-t-il des explications sociologiques à l'essor du pentecôtisme et du renouveau charismatique. Ce n'est pas pour rien qu'il connaît un grand succès parmi les noirs des Etats-Unis et, d'une façon plus générale, dans les pays du Tiers-Monde, en Afrique, en Amérique du sud et à Haïti. On l'a défini souvent comme la "religion des pauvres", des déshérités, des opprimés, des frustrés, des incompris et de tous ceux qui se sentent marginalisés d'une façon ou d'une autre. Une sensibilité à fleur de peau est facilement accessible à l'ambiance suscitée par le pentecôtisme et le néo-pentecôtisme. La possibilité qui y est donnée à tous de s'exprimer, quels que soient leur niveau d'instruction et leur statut dans la société, sans que soit requise une connaissance approfondie de la Bible et encore moins une culture théologique, un message fort simple (souvent rudimentaire et assez peu conforme à l'enseignement de l'Ecriture), différent de tant de sermons qui se meuvent dans l'abstraction et passent à côté des besoins réels des fidèles, l'espoir de vivre une expérience religieuse dont les manifestations extraordinaires et irrationnelles valorisent l'individu et lui donnent l'assurance qu'il est en contact immédiat avec Dieu, tout cela est de nature à satisfaire des besoins qui, s'ils ne sont pas toujours sains, n'en sont pas moins réels.
Mais il y a plus que cela. Dans 1 Corinthiens 12:8-11, l'apôtre Paul énumère neuf dons que le Saint-Esprit accorde à son Eglise: "A l'un est donnée par l'Esprit une parole de sagesse; à un autre, une parole de connaissance, selon le même Esprit; à un autre, la foi, par le même Esprit ; a un autre, le don des guérisons par le même Esprit, à un autre, le don d'opérer des miracles ; à un autre, la prophétie ; à un autre, le discernement des esprits ; à un autre, la diversité des langues, à un autre, l'interprétation des langues. Un seul et même Esprit opère toutes ces choses, les distribuant à chacun en particulier comme il veut". Les charismatiques affirment que le Saint-Esprit veut accorder ces dons (en grec "charismata", charismes, d'où l'expression "charisma-tiques") à l'Eglise de tous les temps, et donc aussi de nos jours. C'est pourquoi le croyant peut en être doté et doit aspirer à eux. Le "baptême dans l'Esprit" est censé correspondre à un besoin réel de l'Eglise chrétienne et des croyants dans leur existence personnelle. Leur possession est censée entraîner un renouveau au sein de la chrétienté. Le pentecôtisme sous ses différentes formes veut donc satisfaire un besoin religieux. Ses adeptes sont sérieusement préoccupés par la situation spirituelle des Eglises institutionnalisées. Ils constatent un manque de consécration et de ferveur religieuse chez de nombreux membres d'Eglises et réalisent que beaucoup de chrétiens ne trouvent pas dans leur foi la joie, la paix et l'assurance qu'éprouvaient les croyants des temps apostoliques, que la vie de beaucoup d'entre eux est dénuée de charité chrétienne, qu'on n'insiste pas assez sur l'oeuvre du Saint- Esprit et que les cultes sont trop souvent froids, impersonnels et dénués de spontanéité, un accomplissement de rites privé de chaleur et de ferveur.
On salue donc dans le "baptême dans l'Esprit" le remède à ces maladies de la chrétienté. Cependant nous nous efforcerons de montrer que les principes théologiques qui animent le mouvement charismatique et certaines de ses pratiques ne sont pas conformes à l'enseignement de la Bible et constituent un facteur de dissensions. Le problème doctrinal le plus sérieux soulevé par ce mouvement est sans doute sa tendance à dissocier l'illumination spirituelle et la Parole de Dieu, tendance qui montre qu'on n'a plus vraiment confiance en l'efficacité divine de l'Evangile et qu'au lieu de fonder sa foi sur les promesses faites par lui, on l'établit sur des expériences visibles dont la nature et l'efficacité sont douteuses. Dans ce domaine aussi il n'y a pas de génération spontanée. Sans doute le pentecôtisme est-il une réaction passablement malsaine et erronée à des symptômes, mais ces symptômes existent, il serait malhonnête de ne pas le reconnaître. Montrer en quoi il fait fausse route et préconise une thérapie contestable, est une chose. Lutter pour une fidélité et une ferveur plus grandes de façon à ce que ce mouvement n'ait pas de prise sur les chrétiens en est une autre.