COMMENTAIRE SUR MICHÉE, par Dr. Wilbert Kreiss - index
DENONCIATION ET CHATIMENT DE L'INJUSTICE SOCIALE, DE LA TRICHERIE ET DU MENSONGE (Michée 6)
L'ingratitude d'Israël:
"Ecoutez donc ce que dit l'Eternel: Lève-toi et engage un procès devant les montagnes, et que les collines t'entendent! Ecoutez donc, montagnes, fondements immuables de la terre, le plaidoyer de l'Eternel. Car l'Eternel est en procès avec son peuple, il va plaider contre Israël. Que t'ai-je fait, mon peuple? En quoi t'ai-je lassé? Réponds-moi donc! T'ai-je lassé en te faisant sortir d'Egypte, en te délivrant de ce pays où tu étais esclave, et en envoyant devant toi Moïse, Aaron et Miryam? Souviens-toi donc de ce qu'avait tramé Balaq, roi de Moab, et de ce que lui répondit Balaam, le fils de Béor. Souviens-toi du chemin que tu as parcouru de Chittim à Guilgal, et reconnais que l'Eternel t'a fait justice. Avec quoi donc pourrai-je me présenter à l'Eternel? Et avec quoi m'inclinerai-je devant le Dieu très-haut? Irai-je devant lui avec des holocaustes, avec des veaux âgés d'un an? L'Eternel voudra-t-il des milliers de béliers, dix mille torrents d'huile? Devrai-je sacrifier mon enfant premier-né pour payer pour mon crime, le fils chair de ma chair, pour expier ma faute? On te l'a enseigné, ô homme, ce qui est bien et ce que l'Eternel attend de toi: c'est que tu te conduises avec droiture, que tu prennes plaisir à témoigner de la bonté et qu'avec vigilance tu vives pour ton Dieu" (6:1-8).
Nous atteignons avec ce texte un des sommets de la poésie hébraïque, sorte de Credo d'Israël mentionnant l'Exode, le séjour au Sinaï, la traversée du désert ("de Chittim à Guilgal"), l'entrée dans la terre promise et, auparavant, l'épisode de Balaam qui bénit le peuple, au lieu de le maudire.
Collines..., montagnes:
La rupture est brutale entre les chapitres 5 et 6. Nous retrouvons le motif du chapitre 1: Dieu intente à nouveau un procès à son peuple. Israël est cité à comparaître devant le tribunal où le Seigneur est à la fois juge et plaignant. Les antiques montagnes et les collines aux fondations si stables sont les témoins de toutes les grâces que Dieu a manifestées à son peuple. Il va jusqu'à demander à son peuple en quoi il lui a fait du mal, pour qu'il lui manifeste tant d'ingratitude. La liste des bénédictions est longue. Nombreux ont été les actes rédempteurs, les délivrances accordées. En quoi le Seigneur a-t-il pu fatiguer, lasser son peuple? Israël aurait-il oublié tout cela? Le Seigneur lui demande de s'en souvenir.
Là où il y a alliance, il y a souvent procès, parce que l'alliance est un pacte de fidélité et que celle-ci ne peut être impunément bafouée. Le Seigneur convoque donc toute la création pour qu'elle entende les reproches qu'il adresse à son peuple. Cf. Esaïe 1:2; Deutéronome 32:1; Psaume 50:1-6. Il condescend à plaider, à exposer ses reproches et à entendre ceux de son peuple, lui qui pourrait le châtier sans autre forme de procès. La création tout entière est prise à témoin, 1) parce qu'elle est le cadre que Dieu a donné à l'activité de l'homme, 2) qu'elle est solidaire de l'homme (le sol a été maudit à cause de son péché, Genèse 3:17; Romains 8:20-22) et qu'elle souffre si souvent avec lui et à cause de lui, 3) parce que, quoiqu'inférieure à l'homme, la nature lui donne des leçons de fidélité. Le soleil est toujours au rendez-vous, le boeuf reconnaît son maître et l'âne son propriétaire (Esaïe 1:3). Dans cette nature, chacun joue le rôle qui lui a été assigné, sauf l'homme qui, quoique supérieur, gâche et perturbe tout. Et c'est encore plus grave, quand il s'agit du peuple même de Dieu.
Avec quoi m'inclinerai-je devant le Dieu très haut?
Michée fait parler Israël. Celui-ci a été apparemment touché par le réquisitoire divin et veut se réconcilier avec son Dieu. Que lui apporter: holocaustes, veaux, béliers, libations? Sacrifices d'enfants comme l'avaient fait Ahaz (2 Rois 16:3) et, plus tard, Manassé (2 Rois 21:6)? Mais Yahvé n'est pas comme les dieux des païens. Il regarde au coeur et non aux gestes. Les sacrifices ne sont souvent que les alibis de la désobéissance. La fumée qui monte des autels ne cache pas à Dieu l'impiété. Il veut le changement des coeurs.
Israël a une conception tout à fait fausse de la religion. Il prétend monnayer la miséricorde et la faveur de Dieu à grand renfort de sacrifices, au besoin de sacrifices humains. Ce n'est pas ce que le Seigneur cherche. Il ne peut pas se contenter de quelques rites. La religion qu'il a instituée est une religion du coeur; il a des exigences d'ordre spirituel et moral et veut la justice, l'amour et une humble soumission à sa volonté. Ainsi, le judaïsme de l'ancienne alliance est loin d'être culte extérieur, accomplissement de quelques rites, légalisme et contrainte. Le V.8 est un excellent résumé de la vraie religion instituée par Dieu. Il s'agit de marcher comme il l'entend, et de le faire sans croire qu'on aide Dieu, qu'il a besoin de nos sacrifices et de nos oeuvres. Il n'aime pas ceux qui s'imaginent qu'il ne saurait se passer d'eux, qu'ils l'enrichissent par leurs prières, leurs dévotions et les oeuvres qu'ils accomplissent.
La fraude et son châtiment:
"L'Eternel s'adresse à la ville: la sagesse, c'est de le craindre; alors, écoutez la menace de votre châtiment et celui qui l'envoie. Supporterai-je encore, communauté méchante, les biens injustement acquis, les mesures réduites, objets de ma malédiction? Laisserai-je impuni celui qui utilise des balances faussées et qui a dans son sac des poids truqués? Les riches de la ville ont recours à la violence, ses habitants profèrent des mensonges, leur langue ne fait que tromper. A mon tour, je vous frapperai, jusqu'à vous en rendre malades, je vous dévasterai à cause de vos fautes, vous mangerez sans être rassasiés, cela vous tordra les entrailles. Vous ferez des réserves, vous n'en sauverez rien. Ce que vous sauveriez, je le livrerai à l'épée. Vous sèmerez sans pouvoir moissonner; vous presserez l'olive, mais sans vous frotter d'huile; vous foulerez les grappes, sans en boire le vin. On s'attache à garder les préceptes d'Omri, on suit l'exemple de toutes les pratiques de la maison d'Achab, oui, vous vous conduisez selon leurs traditions. C'est pourquoi je vais provoquer la destruction de votre ville. Je ferai de ses habitants un sujet de sarcasme: vous porterez l'opprobre de mon peuple" (6:9-16).
Communauté méchante:
C'est une nouvelle invective du prophète. Si Michée parlait ainsi aujourd'hui, sa carrière d'ecclésiastique serait vite terminée. Mais Israël savait encaisser. Bien souvent, des prophètes durent payer cher leur témérité. Cependant on ne fit rien à Michée (Jérémie 26:16-18). Il faut aussi saluer l'honnêteté d'Israël qui nous a transmis ces livres prophétiques et a fait recopier et traduire des oracles qui fustigeaient et dénonçaient son infidélité avec tant de violence. Cette honnêteté est unique dans l'histoire! Sans doute peut-on y avoir le doigt de Dieu qui voulait que sa Parole subsiste jusqu'à la fin des temps. Mais ce n'en est pas moins une leçon d'humilité pour nous, et nous sommes appelés à nous demander sincèrement quels reproches les prophètes auraient à nous adresser, s'il vivaient au milieu de nous.
L'Eternel s'adresse à la ville:
Michée s'en prend à nouveau à la ville, à Jérusalem, symbole de corruption et de pollution, lieu géométrique de l'injustice, carrefour du péché, comme le sont généralement les grandes cités. Dieu va la châtier et justifie son jugement. Il dénonce une nouvelle fois la fraude et l'escroquerie. Les objets de cette malhonnêteté sont maudits par lui. C'est que le Seigneur se sent personnellement attaqué, quand les poids et les mesures sont truqués. Il est sali par cette tricherie. Quand poids et mesures sont faussés, on gagne impunément de l'argent sale, la société est pourrie et moribonde. L'injustice sociale est criante. Les riches s'enrichissent toujours davantage et appauvrissent continuellement les pauvres. C'est encore et toujours d'actualité, même si les moyens de tricher sont différents (taux d'intérêt trop bas ou trop hauts, spéculation, pots-de-vin, tricherie sur la qualité des produits, expropriation, corruption de fonctionnaires, faux et usage de faux, etc.). Le prophète aurait bien des choses à dire, s'il observait la génération présente, les seigneurs du pouvoir et de l'argent, qui souvent fréquentent l'Eglise et font profession d'être des chrétiens.
Je vous frapperai jusqu'à vous en rendre malades:
Autre traduction possible: "Je suis malade de vous frapper". Michée a peut-être été à dessein ambivalent, faisant des jeux de mots pour rendre ses vérités plus percutantes. Dieu en tout cas procède à un étrange aveu: Il est seul responsable des malheureux de son peuple et, si notre traduction est correcte, déclare en souffrir lui-même. C'est à contre-coeur qu'il frappe, mais il doit le faire pour sauver son honneur et pour redresser et sauver son peuple. Il est vrai que Satan est responsable des malheurs des hommes, mais il "n'innocente" pas Dieu. Yahvé lui est supérieur, et il ne fait que ce qu'il l'autorise à faire (Job 1).
En matière d'injustice et de corruption, le Royaume du Sud ne vaut pas mieux que celui du Nord. On s'y livre aux mêmes péchés, commettant les crimes d'Omri et d'Achab (V.16). L'accusation a dû vexer terriblement les habitants de Jérusalem qui se croyaient plus pieux et plus justes que leurs compatriotes de Samarie. A faute égale, châtiment identique. Jérusalem sera détruite, et ses habitants deviendront la risée des nations.
Questions de révision et exercices: