ÉGLISES, COMMUNAUTÉS ET SECTES, par Dr. Wilbert Kreiss - index
L'EGLISE ANGLICANE
L'anglicanisme compte environ 52.500.000 membres, dont 26.967.000 en Angleterre, 5.628.000 aux Etats-Unis, 4.229.000 en Australie, 3.634.000 en Ouganda, 2.567.000 au Canada, 2.152.000 en Afrique du Sud, 480.000 en Irlande et des minorités plus ou moins importantes en Nouvelle-Zélande, au Kenya, en Tanzanie, au Soudan, en Asie et en Amérique du Sud. Près de 57,9% des Anglais ont reçu le baptême dans l'Eglise Anglicane, 34,2% y ont été mariés et 2,7% en sont des membres pratiquants. L'anglicanisme compte à peu près 64.000 prêtres ou pasteurs répartis dans 27 Eglises nationales, dont 11.000 en Angleterre, avec un total de 600 évêques et 430 diocèses (chiffres de 1983).
L'Eglise d'Angleterre est faite de deux provinces, Cantorbéry et York, et gouvernée par le Synode National. Celui-ci réunit clergé et laïcs en trois "chambres" séparées: les évêques (43), les prêtres (250) et, depuis 1970, les laïcs (250), qui peuvent et parfois doivent voter séparément. En Angleterre, il existe un lien spécial entre l'Eglise et l'Etat: le roi ou la reine y est le chef temporel de l'Eglise, et le gouvernement participe à la nomination des archevêques, des évêques et de certains autres dignitaires de l'Eglise. Quant aux décisions synodales, elles sont soumises au vote des évêques, puis à celui du Parlement.
L'anglicanisme est une branche du christianisme extrêmement éclectique dont il est difficile de définir avec précision la position doctrinale. C'est probablement le corps ecclésiastique le plus hétéroclite qui soit, mélange de luthéranisme, de calvinisme, de zwinglianisme, de catholicisme et d'orthodoxie. A prédominance toutefois calviniste.
La naissance de cette Eglise est due davantage à un rejet de l'autorité du pape qu'à des divergences doctrinales. Elle fut l'oeuvre de Henri VIII (1509-1547) dont on connaît les démêlés personnels avec le pape Clément VII qui refusa de sanctionner l'annulation du mariage qu'il avait contracté en 1503, à l'âge de douze ans, avec sa belle-soeur Catherine d'Aragon, veuve à dix-huit ans d'Arthur, prince de Galles. Henri VII désirait épouser Anne Boleyn. Par l'Acte de Suprématie de 1534, il fit annuler son mariage par Thomas Cranmer (1489-1556), archevêque de Cantorbéry que Marie Tudor condamnera au bûcher comme protestant. L'opposition à Rome était si forte en Angleterre que la plupart des gens approuvèrent le schisme prononcé par leur souverain avec le consentement du parlement.
Henri VIII rompit avec Luther, après avoir tenté de soutenir une controverse doctrinale avec le Réformateur, et tenta d'exterminer le luthéranisme en Angleterre. Dans les Six Articles de 1539, il souscrivit à la transsubstantiation, à la communion sous une seule espèce, au célibat des prêtres, aux messes privées et à la confession auriculaire. Sous son successeur Edouard VI (1547-1553), des réformes cultuelles et doctrinales furent menées à bien et introduisirent le protestantisme dans l'Eglise d'Angleterre. Les Quarante-deux Articles d'Edouard trahissent l'influence luthérienne et sont modelés sur la Confession d'Augsbourg.
L'Eglise Anglicane connue une période de persécution sous Marie Tudor (1553-1558) qui voulut la réintégrer dans l'Eglise Catholique. Mais par son fanatisme elle finit par s'aliéner son peuple chez qui le protestantisme trouva de plus en plus de faveur. L'Eglise Anglicane prit, sous le long règne d'Elisabeth (1558-1603), la forme qu'elle a à l'heure actuelle. Elle est épiscopalienne dans son gouvernement, mais assujettie à la couronne, et réformée dans son enseignement officiel. L'Acte de Suprématie donna à la couronne le droit de nommer les prélats, de convoquer ou de dissoudre des assemblées, de sanctionner la doctrine et de châtier les hérétiques. Les Quarante-Deux Articles d'Edouard VI furent révisés et réduits à trente-neuf (version latine de 1563 et 15771). Ces Trente-Neuf Articles n'ont cependant plus à l'heure actuelle qu'une signification historique. Les autres documents confessionnels de l'anglicanisme sont deux Books of Homelies et le Book of Common Prayer qui réglemente la vie cultuelle et liturgique.
Des membres du clergé s'étaient réfugiés sur le continent pendant les persécutions de Marie Tudor. Après avoir étudié la théologie à Genève, Zurich, Bâle, Francfort et ailleurs, ils rentrèrent en Angleterre en calvinistes convaincus et luttèrent contre ce qu'ils considéraient comme des sequelles de catholicisme dans l'anglicanisme (vêtements sacerdotaux, ritualisme, excès liturgiques). Il se battirent également pour une meilleure prédication et, quand les évêques s'opposèrent à eux, ils sollicitèrent plus de place dans le gouvernement de l'Eglise. C'est l'influence exercée par la reine Elisabeth qui vaut à l'Eglise Anglicane son caractère pluraliste lui permettant de regrouper toutes les tendances (calvinisme, arminianisme, méthodisme, puritanisme, rationalisme, romanisme, etc.).
L'anglicanisme est la religion officielle de la Grande-Bretagne. Dans d'autres pays où s'installèrent des émigrés anglais (Etats-Unis, Canada, Australie, etc.), il porte l'étiquette d'Eglise Episcopalienne. L'anglicanisme américain s'appelle officiellement l'Eglise Protestante Episcopalienne. Samuel Seabury qui reçut la consécration épiscopale en Angleterre, en fut le premier évêque au XVIII° siècle. Cette Eglise est totalement indépendante de l'Eglise Anglicane et révisa le Book of Common Prayer pour l'adapter à ses propres besoins.
Le clergé de l'Eglise Anglicane est composé d'évêques, de prêtres et de diacres. Le clergé séculier n'est pas astreint au célibat. Les évêques, nommés par la Couronne sur proposition d'une commission ecclésiastique, prêtent hommage au souverain et reçoivent de leur clergé le serment d'obéissance canonique. Après avoir refusé en 1978 d'ordonner les femmes, l'Eglise Anglicane y consentit en 1992, alors que diverses Eglises Episcopaliennes avaient depuis un certain temps introduit le pastorat féminin.
L'Eglise Anglicane a subi dans les temps modernes plusieurs influences qui se sont exercées sur sa théologie, depuis le milieu du siècle dernier.
Le Mouvement d'Oxford:
Mouvement fondé au siècle dernier pour lutter contre la décadence spirituelle du clergé et du peuple de l'Eglise. Parmi ses grands porte-parole, il faut citer John Henry Newman (1801-1890) qui lutta farouchement contre l'infiltration du modernisme dans l'Eglise Anglicane, mit l'accent sur la continuité de la succession apostolique, l'épiscopat et l'importance des sacrements et du sacerdoce. Il soutenait aussi que les Trente-Neuf Articles ne condamnaient pas le purgatoire lui-même, mais les abus liés à ce dogme, qu'ils n'enseignaient pas la justification par la foi seule et ne niaient pas l'infaillibilité des conciles. Il finit par quitter l'Eglise Anglicane pour rejoindre l'Eglise Catholique où il devint cardinal.
Le libéralisme:
L'anglicanisme a toujours laissé la porte ouverte au libéralisme. Il subit l'influence durable de certains philosophes, dont l'Allemand Schleiermacher. Ainsi naquit le mouvement Broad Church hostile aux définitions dogmatiques et avocat du libéralisme. Celui-ci peut, selon les cas, en particulier aux Etats-Unis, aller jusqu'à la négation du Jésus historique, voire même de l'existence de Dieu. Au sein d'une Eglise aussi composite naquit l'Evangile Social, sous l'impulsion de William Temple.
L'oecuménisme:
Depuis le milieu du siècle dernier, l'Eglise Anglicane et sa partenaire américaine, l'Eglise Protestante Episcopalienne, ont cherché à se rapprocher des Eglises Orthodoxes. On reconnut de part et d'autre, en vertu de la succession apostolique, la validité des ministères et des sacrements. Ce fut le début d'une série d'initiatives entreprises par cette Eglise dans le dialogue oecuménique et le rapprochement des confessions.
La "High Church":
Elle ne s'identifie ni avec le protestantisme ni avec l'Eglise Catholique, mais veut perpétuer le catholicisme occidental avant l'avènement du romanisme. Le salut est dit médié par les sacrements. La certitude du salut est conditionnée par la soumission à l'Eglise et sa hiérarchie divinement instituée. L'Eglise est à l'origine du canon; la Bible est donc son produit, et elle seule en est l'interprète légitime. La High Church attache par ailleurs une grande importance à la notion de succession apostolique.
La "Low Church":
Elle affirme la succession apostolique, mais sans pour autant nier la validité des ministères qui ne s'insèrent pas en elle. Elle s'identifie plus ou moins avec le méthodisme (John Wesley) et son insistance sur la nécessité d'une expérience personnelle de la conversion. La justification par la foi et la nécessité de la conversion furent sa devise avant son conflit avec le Mouvement d'Oxford. Les sacrements et le ministère jouent un rôle assez secondaire. La Sainte Cène est un simple mémorial, et le Baptême n'est pas moyen de régénération. La Low Church s'est, depuis le début de ce siècle, rapprochée de plus en plus de la Broad Church.
La "Broad Church":
Ce mouvement minimise les différences doctrinales dans l'Eglise Anglicane, cherchant à être représenté à la fois dans la High Church et dans la Low Church. Sa théologie est libérale et pluraliste.
Quel est le principe unificateur d'une Eglise aussi hétérogène? Ce n'est pas la succession apostolique, car tous les anglicans n'y croient pas, mais sans doute son latitudinarisme même qui lui permet d'héberger en son sein tous les types de christianisme, une attitude dont on dit qu'elle fait partie de la tradition anglaise tout court et qui constitue la faiblesse même de cette Eglise et son facteur de dissolution, ce qui lui a fait perdre beaucoup de terrain auprès de ses fidèles.
Ce latitudinarisme gît à l'état embryonnaire dans les Trente-Neuf Articles eux-mêmes. Ceux-ci sont luthériens dans la doctrine de la justification et du Baptême, anglicans dans la définition des rapports entre l'Eglise et l'Etat et la conception de l'épiscopat. L'Eglise Protestante Episcopalienne des Etats-Unis n'exige pas la souscription à cette confession. Quant à l'Eglise Anglicane, elle se contente en matière doctrinale des quatre points définis dans le Lambeth Quadrilateral de 1888: l'affirmation de l'autorité des Ecritures Saintes, du caractère suffisant, au titre de confessions de foi, des Symboles des apôtres et de Nicée, de la nécessité des deux sacrements institués par Jésus-Christ et de l'épiscopat historique.
La Low Church revendique l'autorité exclusive de l'Ecriture Sainte. La High Church y ajoute celle de l'Eglise et des conciles, ainsi que ce qu'on appelle le "consensus fidelium", c'est-à-dire de l'ensemble des vérités crues en tout temps par tous les chrétiens. Quant à la Broad Church, elle ajoute à l'Ecriture Sainte la révélation de Dieu dans le développement religieux et spirituel de l'humanité et dans son Eglise en tant que corps mystique. En schématisant un peu, on peut dire que la Low Church voit le centre du christianisme dans la justification du pécheur par la foi seule, la High Church dans le culte public avec ses sacrements et la succession apostolique de son clergé, la Broad Church dans une vie conforme à l'éthique enseignée par le Christ.
La majorité des anglicans conçoivent l'Eglise comme une institution visible, avec ses officiants, ses règles et ses pouvoirs. Les uns font dépendre la validité des ministères de la succession apostolique ininterrompue. Les autres voient cette succession dans la doctrine et la profession de foi. Le problème de la succession apostolique est cependant assez grand pour avoir pu empêcher aux Etats-Unis la fusion des Episcopaliens et des Presbytériens. On comprend facilement que l'efficacité et la valeur des sacrements soient conçues dans l'Eglise Anglicane de façon fort différente, allant pour le Baptême du pur symbolisme à la vertu régénératrice, et pour la Sainte Cène de la présence spirituelle du corps et du sang du Christ jusqu'à quelque chose qui rappelle de près le dogme catholique de la transsubstantiation, en passant par la doctrine luthérienne de la présence réelle. La doctrine officielle des sacrements telle qu'elle est professée dans les Trente-Neuf Articles est du type calvinien. Le Book of Common Prayer parle de l'absolution, de l'ordination et du mariage comme de rites sacrés. Certains anglicans les assimilent toutefois à de véritables sacrements.
Le gouvernement de l'Eglise est de type hiérarchique. A la différence de l'Eglise Anglicane, l'Eglise Episcopalienne y associe plus nettement les laïcs. Le diocèse y est gouverné par l'évêque, assisté par la convention diocésaine composée de prêtres et de laïcs. La Convention Générale, qui se réunit tous les trois ans, est composée d'un côté des évêques, et de l'autre des députés qui sont à part égale des membres du clergé et des laïcs. L'évêque qui préside la convention est l'autorité ecclésiastique et administrative suprême. La Conférence de Lambeth, présidée par l'archevêque de Cantorbéry, réunit tous les 10 ans les évêques de toutes les Eglises anglicanes du monde.
En 1896, Léon XIII avait déclaré nulles et non avenues les ordinations anglicanes. Vatican II, au contraire, reconnut à l'Eglise Anglicane une "place particulière" parmi les Eglises issues de la Réforme, en raison des structures et des traditions catholiques qu'elle a retenues. En 1966, Paul VI reconnut implicitement l'ordination de Mgr. Ramsey archevêque de Cantorbéry, en l'invitant à bénir la foule romaine. En 1980, l'archevêque catholique de Westminster assista à l'intronisation de Robert Runcie, primat de l'Eglise Anglicane, et en 1984, Runcie assista à la messe pour l'unité célébrée par l'archevêque de Lyon. Rome avait envisagé en 1986 la levée de l'invalidation des ordinations anglicanes et la condamnation de l'éventuelle ordination des femmes. Il est certain que la décision prise par l'Eglise Anglicane dans ce dernier domaine rendra plus délicat à l'avenir le dialogue oecuménique avec l'Eglise Catholique.
Questions de révision et exercices: