Le Sacrement de la Sainte Cène, par Dr. Wilbert Kreiss - index
II - QU'EST-CE QUE LA SAINTE CÈNE ?
Il est une réponse très simple à cette question, celle que nous propose le Petit Catéchisme de M. Luther : "La Sainte cène est un sacrement institué par notre Seigneur Jésus-Christ, dans lequel nous mangeons son vrai corps et buvons son vrai sang sous les espèces du pain et du vin". Une traduction littérale donnerait : "C'est le vrai corps et le vrai sang de notre Seigneur Jésus-Christ, institués par Christ lui-même pour que nous le mangions et le buvions sous les espèces du pain et du vin".
Pour ne pas l'oublier, mais se pénétrer de cette vérité et la défendre avec courage et détermination contre ceux qui la rejetaient, Luther avait, lors du fameux colloque de Marbourg qui l'opposa en 1529 aux Réformateurs suisses Zwingli et Oecolampade, soulevé la nappe qui recouvrait la table et écrit en grandes lettres, à l'aide d'une craie : HOC EST CORPUS MEUM, "Ceci est mon corps"! Les théologiens réformés ont de tout temps recouru à la phrase du Christ : "C'est l'esprit qui vivifie; la chair ne sert de rien" (Jean 6 : 63), pour nier la présence réelle du corps et du sang du Seigneur dans la Cène. Ils font ainsi de cette phrase un critère dans la formulation de leur doctrine. Devant une telle attitude, les Luthériens ont toujours soutenu que la doctrine de la Cène doit être puisée exclusivement dans les paroles par lesquelles le Christ a institué ce sacrement, et que ces paroles doivent être interprétées telles qu'elles s'expriment, sans subir aucune influence extérieure. C'est donc vers ces paroles et vers deux ou trois autres textes où la Bible parle explicitement du Repas du Seigneur, que nous devons nous tourner, si nous voulons connaître et confesser la vérité concernant ce sacrement.
Les voici :
"Pendant qu'ils mangeaient, Jésus prit du pain; et, après avoir rendu grâces, il le rompit et
le donna à ses disciples en disant : Prenez, mangez, ceci est mon corps. Il prit ensuite une
coupe; et, après avoir rendu grâces, il la leur donna en disant : Buvez-en tous, car ceci est
mon sang, le sang de l'alliance qui est répandu pour plusieurs, pour la rémission des
péchés" (Matthieu 26 : 26-28)
"Pendant qu'ils mangeaient, Jésus prit du pain; et, après avoir rendu grâces, il le rompit et
le leur donna en disant : Prenez, ceci est mon corps. Il prit ensuite une coupe et, après avoir
rendu grâces, il la leur donna, et ils en burent tous. Et il leur dit : Ceci est mon sang, le sang
de l'alliance, qui est répandu pour plusieurs" (Marc 14 : 22-24).
"Ensuite il prit du pain, et, après avoir rendu grâces, il le rompit et le leur donna en disant:
Ceci est mon corps qui est donné pour vous; faites ceci en mémoire de moi. Il prit de même
la coupe après le souper, et la leur donna en disant : Cette coupe est la nouvelle alliance en
mon sang, qui est répandu pour vous" (Luc 22 : 19.20).
"J'ai reçu du Seigneur ce que je vous ai enseigné; c'est que le Seigneur Jésus, dans la nuit
où il fut livré, prit du pain et, après avoir rendu grâces, le rompit et dit : Prenez, mangez.
Ceci est mon corps qui est rompu pour vous. Faites ceci en mémoire de moi. De même, après
avoir soupé, il prit la coupe et dit : Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang; faites
ceci en mémoire de moi, toutes les fois que vous en boirez. Car toutes les fois que vous
mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur jusqu'à
ce qu'il vienne" (1 Corinthiens 11 : 23-26).
Paul, pas plus que son compagnon Luc, n'était de ceux qui assistèrent à la Sainte Cène la nuit où Jésus-Christ l'institua. C'est pourquoi il précise : "J'ai reçu du Seigneur ce que je vous ai enseigné". Il donne encore à ce propos les précisions suivantes :
"C'est pourquoi celui qui mangera le pain ou boira la coupe du Seigneur indignement, sera
coupable envers le corps et le sang du Seigneur. Que chacun donc s'éprouve soi-même, et
qu'ainsi il mange du pain et boive de la coupe, car celui qui mange et boit sans discerner
le corps du Seigneur, mange et boit un jugement contre lui-même" (1 Corinthiens 11 :
27-29).
"La coupe de bénédiction que nous bénissons, n'est-elle pas la communion au sang du
Christ? Le pain que nous rompons, n'est-il pas la communion au corps de Christ? Puisqu'il
y a un seul pain, nous qui sommes plusieurs, nous formons un seul corps, car nous
participons tous à un même pain" (1 Corinthiens 10 : 16.17).
Ainsi donc, nous possédons dans la Bible quatre versions de l'institution de la Sainte Cène, celles de Matthieu, de Marc, de Luc et de Paul. Sans doute y a-t-il des analogies entre ces textes et le discours de Jésus dans Jean 6. Cependant, même dans l'hypothèse où le Christ ferait par anticipation une allusion à ce sacrement dans son discours devant les Galiléens, nous devons maintenir qu'il ne nous y donne pas un enseignement sur la Sainte Cène. Il existe à cela plusieurs raisons, dont la plus évidente est qu'il est difficile d'admettre qu'il ait pu parler d'un sacrement qu'il n'avait pas encore institué, devant une foule qui en ignorait tout et qui de surcroît était manifestement incrédule. C'est pourquoi nous ne pouvons suivre Calvin, quant il écrit : "Dieu a donné par la main de son Fils à son Eglise le second sacrement, à savoir le banquet spirituel où Jésus-Christ nous témoigne qu'il est le pain vivifiant (Jean 6 : 51) dont nos âmes sont nourries et repues pour l'immortalité bienheureuse" (Institution de la Religion Chrétienne, IV, 17, 1).
On constate aisément qu'il existe certaines différences dans le texte des quatre récits. Elles ne concernent cependant que des détails et ne peuvent en rien affecter la doctrine de la Cène. Elles sont dues tout d'abord au fait que Jésus parlait en araméen, sa langue maternelle, et que les auteurs sacrés, inspirés par le Saint-Esprit, ont pu traduire ses paroles différemment; d'autre part, il est possible d'admettre que Jésus ait prononcé plusieurs fois les paroles d'institution en y introduisant quelques variantes, pendant la distribution de la Cène.
Une lecture comparée des quatre textes permet en particulier de relever les différences suivantes: A la différence de Paul, les évangélistes précisent à propos du sang qu'il "est répandu", "pour vous" (Luc), "pour plusieurs" (Matthieu et Marc). Matthieu ajoute encore : "pour la rémission des péchés". D'autre part, Jésus, tendant la coupe aux disciples, leur dit selon Paul et Luc : "Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang", tandis qu'il déclara selon Matthieu et Marc : "Ceci est mon sang, le sang de l'alliance". Par ailleurs, Marc mentionne : "Et ils en burent tous". Enfin, Paul et Luc font dire à Jésus, après qu'il eut donné le pain à manger aux disciples : "Faites ceci en mémoire de moi", paroles que Paul répète encore à propos de la coupe.
L'institution de la Sainte Cène eut lieu le premier jour des pains sans levain (Matthieu 26 : 17; Marc 14 : 12), c'est-à-dire le premier des sept jours durant lesquels les Juifs de cette époque célébraient la fête de la Pâque, le soir où commençait le 15 jour du premier mois du calendrier juif, appelé Abib et plus tard Nisan, la nuit où Jésus fut trahi, comme le précise Saint Paul. Il mangea avec ses disciples l'agneau pascal, cet agneau que les Juifs tuèrent à la maison et dont le sang fut appliqué sur les linteaux et chambranles de leurs maisons, la nuit où ils quittèrent l'Egypte, et qui plus tard fut immolé dans l'enceinte du temple, puis consommé à domicile avec des "pains sans levain et des herbes amères" (Exode 12 : 18). Plus tard, on prit l'habitude de faire passer parmi les convives une coupe de vin mêlé à de l'eau. Une véritable liturgie fut instaurée, incluant le chant des psaumes 113 à 118, et celui du Grand Hallel, le psaume 136, clôturant la cérémonie. On mangeait aussi la "chasoreth", sorte de bouillie de fruits vinaigrés, une image du mortier que les Juifs avaient fabriqué durant leur esclavage en Egypte, puis la "chagigah" constituée de morceaux d'autres viandes sacrifiées.
Jésus procéda à l'institution de la Sainte Cène, "pendant qu'ils mangeaient" (Marc) ou "qu'ils mangeaient" (Matthieu), donc vraisemblablement au milieu de la célébration de la Pâque, et avant le chant des psaumes (Marc 14 : 26), en tout cas des psaumes par lesquels se terminait cette célébration. C'est à dessein qu'il choisit ce moment, non seulement parce qu'il se situait àla veille de sa mort, mais aussi parce qu'il voulait par là établir un lien étroit entre la Pâque juive et la Sainte Cène.
Deux cérémonies dont l'une se situe dans l'ancienne alliance, et l'autre dans la nouvelle. L'agneau dont le sang épargna les Juifs, lorsque passa l'ange exterminateur, est donc la préfiguration de l'agneau de Dieu immolé pour les péchés du monde, en qui le croyant trouve le pardon et le salut. Les victimes des sacrifices prescrits dans l'Ancien Testament étaient généralement des boucs, des taureaux, des veaux ou des pigeons, et rarement des agneaux. Il s'ensuit que Jésus, appelé souvent l'agneau de Dieu (Jean 1 : 29; 1 Pierre 1 : 19; Apocalypse 5 : 6), était préfiguré dans l'ancienne alliance par l'agneau pascal. C'est pour cela que Paul l'appelle "notre Pâque" (1 Corinthiens 5 : 7). La Sainte Cène, en tant que sacrement de la nouvelle alliance, vient ainsi se substituer à la Pâque juive, et de même que les Juifs mangeaient la chair et buvaient le sang de l'agneau pascal, de même les croyants de la nouvelle alliance sont invités à recevoir le corps et le sang de leur Rédempteur en gage du pardon et du salut.
Jésus prit du pain, "le pain", comme le voudrait une traduction littérale de Matthieu, celui donc qui était à sa disposition et qui avait servi à la célébration de la Pâque. Du pain sans levain, donc, ce qui ne nous autorise pas à affirmer que le pain utilisé pour la célébration de la Sainte Cène doit être sans levain.
Il rendit grâces, prononça donc une prière semblable à celles que nous avons l'habitude de prononcer à table, mais dont nous ne connaissons pas les paroles. Matthieu et Marc utilisent un verbe qui signifie à vrai dire "il bénit", comme il bénit le pain avant de le multiplier (Luc 9 : 16). On peut dire qu'il le "consacra", c'est-à-dire qu'il le mit à part pour cette utilisation particulière, en vertu de laquelle les communiants reçoivent avec le pain le corps du Christ, et avec le vin son sang. C'est pour cette raison que Saint Paul parle de la coupe de bénédiction "que nous bénissons", suivant en cela l'exemple du Christ (1 Corinthiens 10 : 16).
Une fois qu'il l'eut béni, ou consacré, Jésus rompit le pain. Ce n'était pas un geste symbolique, comme l'enseigne la théologie réformée, préfigurant ce qu'il allait advenir de son corps sur la croix, d'autant moins que son corps ne fut pas brisé ou rompu. On ne lui brisa pas les os, comme on le fit aux larrons, et Jean précise : "Ces choses sont arrivées, afin que l'Ecriture fût accomplie: Aucun de ses os ne sera brisé" (Jean 19 : 36, dans une citation d'Exode 12 : 46). Non, si Jésus rompit le pain, comme il le fit du reste devant les disciples d'Emmas, ce fut simplement pour pouvoir le distribuer à ses convives. Ce pain avait la forme d'une galette; il fallut donc le casser en morceaux.
Le Seigneur donna ce pain à ses disciples. Il accompagna son geste de paroles qui devaient leur dire ce qu'ils recevaient : "Prenez, mangez!" Et Jésus identifia ce qu'il leur donnait ainsi àmanger, en disant : "Ceci est mon corps". On notera au passage que les disciples doivent manger ce pain, et non le porter en procession et l'adorer, en en faisant un objet de culte, comme le veut la piété catholique.
"Ceci est mon corps". C'est son corps que le Christ tend aux disciples en les invitant à prendre et manger le pain. Le sens des mots est clair, si clair que tout lecteur sans préjugé est obligé d'en conclure que Jésus donne aux disciples son corps à manger. "Ceci est mon corps". Cette phrase n'offre aucune difficulté grammaticale. Tout enfant peut la comprendre. Elle a un sujet, un verbe et un attribut.
CECI : C'est le sujet de la phrase. Jésus tient quelque chose dans la main, le pain qu'il vient de rompre et qu'il va donner aux disciples. Il l'identifie explicitement à son corps. Un théologien contemporain de Luther, qui ne croyait pas à la présence réelle, Carlstadt, eut la curieuse idée d'affirmer qu'en prononçant ce mot, Jésus montra son propre corps du doigt. Tendant le pain aux disciples, il pointa l'index de son autre main vers lui-même, en disant : "Ceci est mon corps". L'interprétation frisait le ridicule; c'est pourquoi personne ne suivit Carlstadt. Ce n'est pas de lui-même, mais bien du pain que parlait le Christ.
EST : Le verbe être affirme toujours une identité. Dans toutes les langues du monde. Il est vrai que ce verbe était sans doute sous-entendu dans la phrase araméenne que prononça Jésus. Le sens cependant en était tout aussi évident. Quoi qu'il en soit, les paroles d'institution qu'il prononça nous sont parvenues dans la langue dans laquelle les évangélistes rédigèrent leurs livres sous l'inspiration du Saint-Esprit, en grec. Nous n'avons pas à chercher par delà le texte grec la phrase araméenne que Jésus a bien pu prononcer. C'est le texte du Nouveau Testament qui constitue, tel qu'il nous est parvenu, notre source et norme de la doctrine. Et ce texte contient le verbe être dans les quatre versions dans lesquelles il nous est parvenu, chez Matthieu, Marc, Luc et Paul. Zwingli ne croyait pas en la présence réelle du corps et du sang du Christ. Il la niait farouchement, maintenant qu'il fallait donner aux paroles du Seigneur un sens figuré. "Ceci est mon corps" voulait dire selon lui "Ceci signifie, représente, symbolise mon corps". Il écrivait : "Qui sera si débile au point de ne pas voir que "est" veut dire ici "signifie", qu'il s'agit donc d'un symbole, d'une figure?" (Subsidium de Eucharistia, 343). "Il faut savoir que l'Ecriture est pleine d'affirmation figurées, comme lorsque le Christ dit : Je suis le cep, vous êtes les sarments. De même Jean 1 : 29 : Voici l'agneau de Dieu qui ôte le péché du monde, ou Jean 6 : 35 : Je suis le pain de vie" (Klare Unterrichtung, 456, in Zwinglis Werke II, 1).
Cette interprétation n'est pas correcte. Le verbe "être" en effet exprime toujours une réalité, une identité, une équation, l'être d'une chose, et jamais sa signification ou sa représentation. Selon Zwingli, le pain que Jésus vient de rompre, symbolise et représente son corps, tel qu'il sera rompu, brisé sur la croix. Or, nous l'avons dit, son corps ne fut ni rompu ni brisé. D'autre part, Zwingli ne peut pas faire appel aux paraboles de Jésus pour affirmer que le verbe "être" signifie "symbolise", car il ne signifie jamais cela, pas même dans les paraboles. Quand le Christ déclare: "La semence est la Parole de Dieu" (Luc 8 : 11), il ne veut pas dire que les grains de blé que les cultivateurs ont l'habitude de répandre sur terre dans ce que Victor Hugo appelait le geste auguste du semeur symbolisent la Parole de Dieu, mais que la semence que répandit le semeur de sa parabole, semeur qui n'est autre que Dieu, est bel et bien la Parole de Dieu. En soi une semence n'est pas la Parole de Dieu, mais celle dont il parle dans sa parabole l'est. Ou lorsque Jésus dit : "Je suis le cep", ou encore : "Je suis le bon berger", il ne parle pas d'un cep de vigne ordinaire, ni d'un quelconque bon berger, mais emploie l'article défini : "Je suis le cep", "Je suis le bon berger". Il n'est pas réellement un cep de nos vignes ou un berger galiléen ou auvergnat. Par contre, il est réellement le cep dont parle la parabole (Jean 15), et le bon berger de Jean 10. Il n'est pas non plus un pain; par contre il est le pain de vie, qui procure la vie à celui qui le reçoit avec foi. Jamais, dans aucune langue du monde, le verbe "être" ne veut dire "représente", "signifie", "symbolise". Et même s'il en était ainsi, il ne serait pas encore prouvé que ce verbe a ce sens dans les paroles d'institution de la Sainte Cène.
MON CORPS : C'est l'attribut du sujet. C'est dans cet attribut que Calvin et Oecolampade, à l'inverse de Carlstadt et de Zwingli, ont cru pouvoir trouver une formule de rhétorique, en vertu de laquelle il ne serait pas à interpréter au sens littéral. Selon cette interprétation, Jésus dirait : "Ceci est une image, une représentation de mon corps", ou : "Ceci" est mon corps représenté, symbolisé. Calvin en particulier utilise dans sa formulation de la doctrine de la Sainte Cène un vocabulaire très proche de celui utilisé par la théologie luthérienne. Il en vient même à parler de la présence réelle et substantielle du corps et du sang du Christ : "Je dis derechef que Jésus-Christ affirme que ce qu'il avait pris entre ses mains pour le donner à ses disciples, est son corps" (Institution de la Religion Chrétienne IV, 17, 20). "Nous disons que Jésus-Christ descend à nous tant par le signe extérieur que par son Esprit, pour vivifier vraiment nos âmes de la substance de sa chair et de son sang" ( 24).
Le Réformateur de Genève s'oppose ainsi au simple symbolisme de Zwingli. Cependant, il est clair que pour lui celui qui communie ne peut pas recevoir dans sa bouche, avec le pain et le vin, le corps et le sang du Christ. C'est pourquoi, s'il parle d'une présence réelle, il ne peut s'agir que d'une présence spirituelle : de même que le croyant qui communie reçoit par la bouche le pain et le vin, de même il devient spirituellement participant du corps et du sang du Christ qu'il reçoit par la foi...et non par la bouche. Il accuse les Luthériens de vouloir enfermer le corps du Christ dans le pain, et maintient que ce corps du Christ, élevé à la droite de Dieu, est enfermé dans un lieu du ciel et ne peut donc être localement présent partout où les chrétiens célèbrent le sacrement : "Il nous faut établir une telle présence qui finalement ne le mette pas ici-bas dans ces éléments corruptibles, d'autant plus que cela est contraire à sa gloire céleste. Cette présence ne doit pas non plus lui faire un corps infini pour le mettre en plusieurs lieux, ou pour faire croire qu'il est partout, dans le ciel et sur la terre, d'autant plus que cela contrevient à la vérité de sa nature humaine... Nous ne permettrons point qu'on attribue à son corps ce qui est contraire à sa nature humaine, ce qui a lieu quand on dit qu'il est infini ou qu'on le met en plusieurs lieux" ( 19). "Nos âmes reçoivent nourriture de la chair de Christ, sans qu'elle bouge du ciel" ( 24).
Pour Calvin, le pain est le symbole du corps de Christ, et le vin le symbole de son sang. De même qu'il reçoit le pain et le vin par la bouche, le communiant croyant reçoit par la foi le corps et le sang du Christ, s'approprie Jésus de façon intime et obtient ainsi son pardon. Qu'est-ce qui permet au Réformateur de Genève de dire que le pain est l'image du corps, et le vin l'image du sang? Où est le point de comparaison? Calvin répond que le point de comparaison réside en ce que le pain et le vin, ainsi que le corps et le sang du Christ constituent une nourriture. De même que le pain et le vin sont indispensables à la vie du corps (mais le vin l'est-il?), de même le Christ est indispensable à la vie de l'âme. Mais si le Christ est indispensable à la vie de l'âme, peut-on dire cela de son corps? Si le pain est une image de son corps, il faut en déduire que, de même que le pain nourrit nos corps, de même le corps du Christ nourrit nos âmes. Or, si Jésus dit à plusieurs reprises, dans son discours de Jean 6, qu'il est le pain de vie (Jean 6 : 35, 48), "qui descend du ciel, afin que celui qui en mange ne meure point" (Jean 6 : 50), qu'il faut manger de ce pain, pour vivre éternellement (Jean 6 : 51), il ne dit pas cela de son corps. Il n'emploie jamais ce mot dans son fameux discours; par contre il dit : "Le pain que je donnerai, c'est ma chair que je donnerai pour la nourriture du monde" (Jean 6 : 51), et corps et chair ne sont pas des synonymes! Ainsi donc, Calvin remplace dans son interprétation le corps du Christ par sa personne tout entière, comme si Jésus disait : "Ce pain que je vous donne est ma personne tout entière de Fils de Dieu devenu homme pour le salut du monde". Dans ce cas, pourquoi Jésus n'aurait-il pas dit plus simplement : Mon corps est la vraie nourriture, mon sang le vrai breuvage?
D'autres ont vu le point de comparaison ailleurs : dans le fait que Jésus rompit le pain, avant de le distribuer, préfiguration de ce qui allait arriver à son corps. Mais nous avons déjà vu plus haut qu'il n'y a pas en cela d'analogie entre le pain et le corps.
Tendant le pain aux disciples, Jésus leur dit : "Prenez, mangez, ceci est mon corps". Selon Paul, il ajouta : "Qui est pour vous". La traduction de Segond propose : "Qui est rompu pour vous", mais ce verbe ne figure pas dans le texte original, et d'autre part, nous avons constaté que le corps du Christ ne fut pas rompu sur la croix. Luc précise, de son côté : "Qui est donné pour vous". Jésus ne parle donc pas d'un corps figuré, symbolique, mais bien de son corps tel qu'il fut livré sur la croix pour les péchés du monde. Les Réformés répliquent qu'en montrant un portrait de Napoléon, on peut fort bien dire : "Ceci est un Napoléon", quoiqu'il ne s'agisse pas de Napoléon en chair et en os, mais d'un tableau ou d'une représentation de l'empereur. C'est vrai, mais là au moins, le recours à une forme de rhétorique est évident, tandis qu'il n'est pas prouvé qu'une telle interprétation des paroles du Christ est non seulement possible, mais encore la seule valable, celle qu'exige le texte.
Toute tentative d'interprétation symbolique du texte, quelle qu'elle soit, a pour effet de l'obscurcir, alors que les mots employés par notre Seigneur sont si simples et si clairs. Il affirme tout simplement qu'il nous donne avec le pain qu'il tient dans la main son corps, celui-là même qui fut cloué sur la croix. Aussi sommes-nous invités à croire en une présence réelle et substantielle de son corps et de son sang.
Nous n'avons pas à préciser comment ce corps et ce sang, reçus avec le pain et le vin, donc oralement, sont consommés, parce que nous ne pouvons pas le faire, et qu'en le tentant, nous ferions dire au texte plus qu'il ne le désire. Nous rejetons toute conception dite "capernaïtique", en vertu de laquelle le corps et le sang de Jésus suivraient le même chemin que le pain et le vin, seraient digérés et éliminés, ainsi que la notion d'une impanation, c'est-à-dire d'une inclusion locale de son corps dans le pain. Nous affirmons que le corps et le sang du Christ sont reçus ensemble avec le pain et le vin, et donc par la bouche (manducation orale), sans chercher àdéfinir le mystère.
La phrase : "Faites ceci en mémoire de moi" (Luc), ainsi que les paroles de Paul : "Toutes les fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur jusqu'à ce qu'il vienne", précisent que les chrétiens sont appelés à célébrer souvent la Sainte Cène, bien qu'il ne soit pas dit à quelle cadence. Nous aurons l'occasion de reparler de cela. Cette célébration à lieu en mémoire du Christ; elle constitue un rappel et une proclamation, de la part de l'Eglise chrétienne, de la mort rédemptrice du Sauveur. Elle est une prédication visible de son sacrifice expiatoire.
Ensuite, Jésus prit "une coupe" (Matthieu, Marc), "La coupe" (Luc, Paul), c'est-à-dire l'une des coupes dont il s'était servi durant le repas pascal, une coupe donc dont nous savons qu'elle contenait du vin, le "fruit de la vigne" dont parle Matthieu (Matthieu 26 : 29). Une fois de plus, il rendit grâces, et, la tendant aux disciples, il leur dit : "Ceci est mon sang, le sang de l'alliance qui est répandu pour plusieurs" (Matthieu, Marc), et Matthieu précise : "Pour la rémission des péchés". Selon Luc, Jésus aurait dit : "Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang", parole que nous trouvons aussi chez Saint Paul. Le texte de Matthieu et de Marc correspond donc exactement aux paroles prononcées par le Christ à propos du pain. Il emploie cependant ce qu'on appelle une métonymie, en parlant du contenant ou du récipient au lieu du contenu : son sang ou la nouvelle alliance en son sang est non pas la coupe en verre ou en métal qu'il tient dans la main, mais ce qu'elle contient, de même qu'en dégustant un vin, nous disons : nous allons boire une bonne bouteille !
Jésus affirme donc faire boire à ses disciples son sang, en précisant qu'il s'agit du sang de l'alliance. De la nouvelle alliance, selon Luc et Paul. Il distingue ainsi son sang de celui qui était répandu durant l'ancienne alliance, lorsque les Juifs apportaient à Dieu des sacrifices. "Moïse prit le sang et le répandit sur le peuple, en disant : Voici le sang de l'alliance que l'Eternel a faite avec vous selon toutes ces paroles" (Exode 24 : 8). L'ancienne alliance se fondait sur du sang versé pour le pardon des péchés. "Voilà pourquoi c'est avec du sang que la première alliance fut inaugurée (Hébreux 9 : 18). C'était l'alliance de grâce conclue par Dieu avec Abraham et qui se fondait sur les promesses messianiques qu'il lui avait données; elle fut solennellement renouvelée au Sinaï. A cette alliance, ancienne et périmée, correspond ce que le Nouveau Testament appelle l'alliance nouvelle fondée sur Jésus-Christ (Hébreux 12 : 24; 2 Corinthiens 3 : 6). Jésus en est le médiateur en vertu du sang précieux et innocent qu'il répandit sur la croix pour le salut du monde. C'est ce sang que le Christ affirme donner à ses disciples.
"Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang", dit Jésus, selon les versions de Luc et de Paul. Telle quelle, cette phrase rapproche les expressions "nouvelle alliance" et "en mon sang", et affirme donc que la nouvelle alliance est fondée sur le sang que le Christ répandit sur la croix, ce qui est tout à fait conforme à l'enseignement de la Bible. La structure de la phrase en grec voudrait cependant que l'on rattache "en mon sang" à "cette coupe", et non à "nouvelle alliance" (la présence d'un article se référant à la coupe devant les expressions "en mon sang" et la place du verbe "être" rendent cela assez évident). Une traduction plus précise ferait donc dire à Jésus : "Cette coupe est, en raison de mon sang, la nouvelle alliance", en d'autres termes : la coupe que le Christ tend aux disciples est la nouvelle alliance, parce qu'elle contient son sang. Elle présente aux communiants ce par quoi est scellée l'alliance de grâce, de pardon et de salut que le Seigneur conclut avec les siens. Uni au vin, le sang de Jésus procure à tous ceux qui communient avec foi tous les bienfaits de son oeuvre rédemptrice, toutes les grâces de la nouvelle alliance.
Après cet examen des paroles que le Christ a prononcées en instituant le sacrement de la Sainte Cène, il nous reste à analyser deux textes de l'apôtre Paul.
Dans le premier, l'apôtre s'en prend à la façon dont les Corinthiens avaient pris l'habitude de communier. Leur paroisse était profondément divisée, et leurs agapes, au lieu d'être des repas d'amour et de communion fraternelle, mettaient au grand jour leurs rivalités, leurs dissensions internes et leur égoïsme : "Vous vous assemblez, non pour devenir meilleurs, mais pour devenir pires" (1 Corinthiens 11 : 17). Au lieu de mettre en commun les provisions qu'ils apportaient et de les partager fraternellement, chacun vidait égoïstement le contenu de son panier. Les riches faisaient bombance, tandis que les pauvres, et ils étaient nombreux dans la paroisse, ne mangeaient pas à leur faim. Certains buvaient même jusqu'à l'ivresse. Et c'est dans ce cadre impie qu'on célébrait le repas du Seigneur, la Sainte Cène. Aussi Paul leur écrit-il : "Celui qui mangera le pain ou boira la coupe du Seigneur indignement, sera coupable envers le corps et le sang du Seigneur" (1 Corinthiens 11 : 27). Et il précise : "Celui qui mange et boit sans discerner le corps du Seigneur, mange et boit un jugement contre lui-même" (1 Corinthiens 11 : 29). Manger le pain et boire la coupe du Seigneur indignement, c'est le faire d'une façon contraire à l'essence de ce sacrement, d'une façon qui ne tient pas compte des bienfaits merveilleux et des grâces que le Seigneur y offre aux siens. Il se rend coupable envers son corps et son sang et insulte le Seigneur qui s'y donne lui-même à tous les communiants. C'est pourquoi, quiconque s'approche de la table du Seigneur est invité à s'examiner, à constater s'il le fait dans les dispositions requises, celles d'un pécheur repentant qui cherche le salut dans la foi en la mort rédemptrice du Christ. Quiconque ne discerne pas dans la Sainte Cène le corps du Christ et ne manifeste pas devant ce don le respect, l'humilité et la foi requis, mange et boit un jugement contre lui-même. Il consomme le pain et le vin comme une nourriture ordinaire et profane. La célébration de la Cène était pour les Corinthiens une sorte d'appendice à leurs agapes impies, et non un acte de foi.
Celui qui communie indignement est coupable envers le corps et le sang du Christ. Or, on ne peut se rendre coupable envers quelque chose qui ne serait pas là. Il s'ensuit donc que celui qui communie indignement reçoit lui aussi le corps et le sang du Christ. Mais il les reçoit pour son jugement! Il ressort de ce texte que le corps et le sang de Jésus sont reçus de tous les communiants, que leur présence est indépendante de l'attitude intérieure des communiants. Ce n'est donc pas, comme l'enseignent les Réformés, une présence spirituelle. Calvin écrit : "Que la foi donc reçoive ce que notre entendement ne peut concevoir! C'est que l'Esprit unit vraiment les choses qui sont séparées de lieu. Or Jésus-Christ nous atteste et nous scelle en la Cène cette participation de sa chair et de son sang... Et de fait il l'offre et baille à tous ceux qui viennent à ce repas spirituel, bien qu'il n'y ait que les seuls fidèles qui y participent, en tant que par la vraie foi ils se rendent dignes d'avoir jouissance d'un tel bienfait". (Institution de la Religion Chrétienne IV, 17, 10). Selon Calvin, pour recevoir le corps et le sang du Christ, il faut communier dans la foi. C'est par elle que le croyant, en recevant la Sainte Cène, devient participant de ce corps et de ce sang enfermés quelque part dans le ciel, et s'unit à eux. Paul, au contraire, déclare que celui qui communie indignement se rend coupable envers le corps et le sang du Christ, parce que ceux-ci sont présents dans la Cène et reçus par tous les communiants. Le pécheur impénitent ou l'hypocrite qui participe au sacrement, mange et boit un jugement contre lui-même, parce qu'il reçoit le corps et le sang de Jésus avec un coeur incrédule.
Dans 1 Corinthiens 10 : 16, Paul dit de la coupe de bénédiction que nous bénissons dans la Cène, qu'elle est "la communion au sang du Christ", et du pain que nous rompons qu'il est la "communion au corps de Christ". Il serait plus juste de traduire le mot utilisé par l'apôtre (koïnônia + génitif) par "participation" au sang et au corps du Christ. Nous interprétons cette phrase à la lumière des paroles d'institution de la Cène, qui affirment que le pain est le corps, et que le vin est le sang du Christ. En mangeant le pain, on participe donc à son corps, en buvant le vin on participe à son sang. Mais pour bien comprendre Paul, il faut situer sa phrase dans son contexte. L'apôtre a montré que le chrétien, en vertu de sa liberté chrétienne, peut manger toutes les viandes qu'il trouve dans le commerce ou qu'on lui sert chez autrui, même les viandes provenant d'animaux qui ont été sacrifiés aux idoles païennes. A condition toutefois de ne pas scandaliser le frère faible dans la foi. Mais qu'en est-il des banquets célébrés dans les temples de ces idoles? Le chrétien, répond Paul, doit s'en abstenir, car en participant à ces repas, il entrerait en communion avec les idoles (1 Corinthiens 10 : 19.20), de même que les Israélites sous l'ancienne alliance, en mangeant les victimes qu'ils avaient sacrifiées à l'Eternel, entraient en communion avec l'autel sur lequel ces sacrifices avaient lieu (1 Corinthiens 10 : 18). Et Paul recourt à la Sainte Cène pour illustrer la même vérité, affirmant qu'en mangeant le pain et en buvant le vin du sacrement, on devient participant du corps et du sang de Jésus. Or, "vous ne pouvez boire la coupe du Seigneur et la coupe des démons; vous ne pouvez participer à la table du Seigneur et à la table des démons" (1 Corinthiens 10 : 21). De même qu'en communiant on participe au corps et au sang du Christ, de même, en participant aux repas sacrés des païens, aux banquets qu'ils célèbrent dans leurs temples, on entre en communion avec les démons, qu'on croie ou non à leur existence (1 Corinthiens 10 : 19.20). La communion avec les démons résulte de la simple participation à ces repas; elle est indépendante de la foi.
Si donc Paul illustre cette vérité en faisant appel à la Sainte Cène, cela signifie que ce sacrement implique une participation au corps et au sang du Christ, indépendante elle aussi de la foi. Le recours à la Cène ne pourrait servir de preuve à l'apôtre Paul, si on n'y recevait le corps et le sang du Christ que spirituellement, si c'est par la foi qu'on entrait en communion avec ce corps et ce sang enfermés dans le ciel. S'il en était ainsi, Paul pourrait autoriser les chrétiens àparticiper aux banquets des païens; ne croyant pas aux idoles, ils ne seraient pas pour autant en communion avec elles! Le texte de 1 Corinthiens 10 : 16 nous confirme ainsi dans la conviction que le corps et le sang du Christ sont réellement présents dans la Cène et reçus par tous les communiants, indépendamment de la foi.
Jésus prit du pain et du vin. Ce sont les éléments qu'il choisit pour instituer ce sacrement. Il a déclaré : "Faites ceci" et dit à ses disciples, au sujet des nations : "Enseignez-leur à observer tout ce que je vous ai prescrit" (Matthieu 28 : 20). L'Eglise chrétienne est donc tenue de célébrer la Cène avec ces éléments. Peut-être ne trouvera-t-on pas de vin dans tous les pays; du moins peut-on l'importer. On a objecté aussi que certains hommes, les alcooliques qui ont subi avec succès une cure de désintoxication, doivent s'abstenir d'alcool. Mais ceci n'autorise pas l'Eglise à changer quelque chose à l'institution du Seigneur, en célébrant par exemple le sacrement avec du jus de fruits ou du Coca-Cola. Rares sont sans doute ceux qui, après une prière fervente, dans laquelle ils ont demandé à Dieu de bénir leur participation à la Sainte Cène, ne pourraient pas absorber, sans préjudice, quelques gouttes de vin. Dans ce cas extrême, que l'on peut sans doute considérer comme rarissime, nous estimons qu'il vaut mieux que l'intéressé renonce àparticiper au sacrement. Aussi longtemps que l'Eglise chrétienne fait ce que le Seigneur a prescrit, elle a la certitude d'accomplir sa volonté et d'être fidèle à sa mission.
"Buvez en tous!" "Faites ceci en mémoire de moi, toutes les fois que vous en boirez!" "Et ils en burent tous". L'Eglise Catholique se rend coupable d'une grave mutilation de la Sainte Cène, en réservant traditionnellement la coupe au prêtre officiant. C'est dresser la dogmatique contre l'Ecriture Sainte que d'affirmer : les fidèles n'ont pas besoin de boire la coupe, car en recevant le pain ils participent au corps du Christ, et donc à son sang, au sang que contient ce corps. Pourquoi, dans ce cas, réserver la coupe aux prêtres?
Il est clair que le Christ n'a pas fait ce raisonnement, sinon il n'aurait pas fait passer la coupe parmi les disciples. Refuser la coupe aux fidèles, c'est les priver de la consolante assurance qu'ils reçoivent dans la Sainte Cène les bénédictions promises par le Seigneur. C'est aussi s'opposer à sa volonté expresse qui s'exprime dans l'ordre : "Buvez-en tous!" C'est enfin s'opposer à la pratique universelle de l'Eglise primitive. Paul ne peut écrire : "Celui qui mange et boit sans discerner le corps du Seigneur, mange et boit un jugement contre lui-même" (1 Corinthiens 11 : 29), que parce que les chrétiens de Corinthe et tous ceux de son époque communiaient sous les deux espèces. Le refus de la coupe aux fidèles constitue une innovation coupable de l'Eglise Catholique, et les concessions qu'elle fait à ce sujet à l'heure actuelle ne changent rien au principe. Luther écrit à ce sujet : "Nous savons que l'Eglise chrétienne est soumise au Christ (Eph. 5 : 24) et ne se place pas au-dessus de lui, mais elle est obéissante àla Parole de Dieu, ne veut pas en être le maître et ne la change pas, mais se laisse changer et maîtriser par elle" (Erlangen 30, 385).
Nous rejetons la doctrine catholique de la transsubstantiation, selon laquelle le prêtre, en vertu d'un pouvoir particulier reçu dans son ordination, change le pain et le vin en corps et sang du Christ. Le théologien catholique B. Bartmann écrit : "Le Christ est présent dans l'Eucharistie par la conversion de la substance du pain et du vin en son corps et en son sang" (De Foi) (Précis de Théologie Dogmatique, II, 330). Le pain cesse d'être du pain et le vin cesse d'être du vin. Il n'en reste que ce qu'on appelle les "accidents", tels que la couleur, la consistance, la forme, le goût. Le Concile de Trente déclare : "Si quelqu'un enseigne que, dans le sacrement de l'Eucharistie, la substance du pain et du vin subsistent ensemble avec le corps et le sang de notre Seigneur Jésus-Christ et qu'il nie la conversion, admirable et unique en son genre, de toute la substance du pain en corps et de toute la substance du vin en sang, seules les espèces du pain et du vin subsistant dans le sacrement, conversion que l'Eglise Catholique appelle à juste titre transsubstantiation, qu'il soit anathème". (Session 13, Canon 2). B. Bartmann écrit encore : "Le Christ est présent dans l'Eucharistie immédiatement après la consécration et il y reste aussi longtemps que les espèces demeurent inchangées" (op. cit. p. 339).
L'Eglise Catholique fait de ce corps du Christ présent sur l'autel durant la célébration, puis enfermé dans le tabernacle, l'objet d'un culte. C'est devant ce corps du Christ dans le tabernacle que les fidèles catholiques fléchissent les genoux et font le signe de la croix, lorsqu'ils pénètrent dans l'église et en particulier passent devant l'autel. C'est au concile de Latran, en 1215, que ce dogme fut officiellement proclamé par Rome. Il a soulevé bien des problèmes dans l'Eglise Catholique, suscité bien des questions auxquelles les Scolastiques s'efforcèrent de répondre : Que mange une souris, lorsqu'elle grignote une hostie? Pourquoi la coupe contient-elle encore de l'alcool, si le vin a perdu sa substance et s'est changé en sang du Christ? Brise-t-on le corps du Christ en rompant une hostie consacrée? Que faire d'une souris, si, en mangeant une hostie, elle a mangé le corps du Christ? Il faut l'attraper, la brûler et jeter ses cendres dans un étang, exigeait l'archevêque Antonin de Florence. Oui, mais auparavant il faut extraire de son estomac les morceaux de l'hostie et les enfermer dans le tabernacle jusqu'à ce qu'ils se soient décomposés, conseillait Pierre de Palude. Faute de faire cela, on brûlerait le corps du Christ, surenchérissait Thomas d'Aquin! Préoccupations ridicules qui agitaient les esprits de l'époque! Préoccupations aussi auxquelles on ne peut échapper, quand on est prisonnier d'une telle doctrine! Mais, qui plus est, cette doctrine est contraire au témoignage de la Bible. Paul écrit : "Toutes les fois que vous mangez ce pain (et non ces apparences de pain)..." (1 Corinthiens 11 : 26). "Que chacun donc s'éprouve soi-même, et qu'ainsi il mange du pain et boive de la coupe" (1 Corinthiens 11 : 28). "Celui qui mangera le pain ou boira la coupe du Seigneur indignement..." (1 Corinthiens 11 : 27). Quels artifices de philosophie aristotélicienne ne faut-il pas déployer, pour expliquer qu'un objet peut conserver ses accidents, c'est-à-dire sa forme, sa couleur, sa consistance et sa saveur, tout en perdant sa substance! L'Ecriture ne nous invite pas à nous livrer à de telles spéculations! La foi chrétienne en est dispensée, quand elle se fonde simplement sur le témoignage de la Bible.
L'Eglise Luthérienne croit, enseigne et confesse que le pain et le vin subsistent dans la Sainte Cène et qu'ils sont les moyens par lesquels le Christ nous offre son corps et son sang. LePetit Catéchisme affirme que dans ce sacrement "nous mangeons son vrai corps et buvons son vrai sang sous les espèces du pain et du vin". De même la Confession d'Augsbourg : "Le vrai corps et le vrai sang du Christ sont véritablement présents, distribués et reçus dans la Cène sous les espèces du pain et du vin" (Article X). L'Apologie de la Confession d'Augsbourg utilise une expression différente : "Nous disons que dans la Sainte Cène le corps et le sang de Christ sont vraiment et réellement présents, et qu'ils sont véritablement offerts avec les signes visibles du pain et du vin à ceux qui reçoivent le sacrement" (Article X). "Dans, avec et sous les espèces du pain et du vin". Telle est la formule que la théologie luthérienne emploie pour exprimer le mystère de la présence réelle. On l'a souvent accusée d'enseigner une présence locale du corps du Christ dans le pain, de l'inclure dans le pain. Calvin écrit par exemple :"En enfermant le corps dans le pain, ils imaginent qu'il est partout, ce qui est contraire à sa nature; puis en ajoutant qu'il est sous le pain, ils l'enserrent là comme en cachette... Il est évident qu'ils s'amusent à une présence locale" (op. cit. 16). "Il faut établir une présence de Jésus-Christ, en la Cène telle qu'elle ne l'attache point au pain et ne l'enferme point là-dedans, et que finalement elle ne le mette point ici-bas en ces éléments corruptibles" (§ 19).
La cible est mal choisie. L'Eglise Luthérienne n'a jamais enseigné une présence locale du corps et du sang du Christ. Ce corps et ce sang ne sont pas présents dans les mains du pasteur de la même façon que le pain et le vin. Ils ne sont pas davantage inclus dans le pain et le vin, enfermés en leur substance.
La Formule de Concorde précise pourquoi elle emploie ces expressions : "Si, outre les expressions du Christ et de l'apôtre (le pain de la Sainte Cène "est le corps du Christ" ou "la communion au corps de Christ"), nous employons aussi les formules suivantes : "sous le pain, avec le pain, dans le pain", ce n'est pas sans raison. En effet, par l'emploi de ces formules nous rejetons la transsubstantiation papiste et nous voulons indiquer l'union sacramentelle du pain, dont la substance n'est pas changée, et du corps de Christ. De même l'expression : "La Parole est devenue chair" est expliquée par des formules équivalentes, telles que celles-ci :"La Parole a habité parmi nous", "En Christ réside corporellement toute la plénitude de la divinité", "Dieu était avec lui"... Ces formules indiquent que, par l'incarnation, l'essence divine n'a pas été changée en nature humaine, mais que les deux natures, sans se mêler, sont unie en une personne. Et la personne même du Christ a servi de comparaison à beaucoup d'éminents docteurs, tels que Justin, Cyprien, Augustin, Léon, Gélase et Chrysostome, pour illustrer le mystère du sacrement. D'après eux, de même que dans la personne du Christ deux natures distinctes et non changées sont indissolublement unies, dans la Sainte Cène les deux substances, le pain naturel et le corps naturel du Christ, sont présentes l'une et l'autre ici-bas, dans l'administration du sacrement tel qu'il a été institué. L'union du corps et du sang du Christ avec le pain et le vin n'est pas une union personnelle, comme celle des deux natures en Christ, mais une union sacramentelle, terme que Luther et les nôtres emploient dans les articles de Concorde de 1536 et ailleurs. Ils veulent indiquer par là que, s'ils usent parfois des formules : in pane, sub pane, cum pane (dans le pain, sous le pain et avec le pain), ils prennent néanmoins au sens propre et littéral les paroles du Christ: "Ceci est mon corps" (Formule de Concorde, S.D., VII, 35 ss).
Il existe dans la personne du Christ un lien étroit entre la nature humaine et la nature divine. Les deux sont intimement unies l'une à l'autre. Quand par ailleurs l'Ecriture affirme : "En lui habite corporellement toute la plénitude de la divinité" (Colossiens 2 : 9), ou que tout pouvoir lui a été donné dans le ciel et sur la terre (Matthieu 28 : 18), il est clair que sa nature humaine participe à sa gloire, sa majesté et à la plénitude de ses attributs divins. Son corps peut donc parfaitement être omniprésent, et l'est effectivement. Jésus-Christ est monté au ciel et s'est assis à la droite de son Père. Ces formules n'affirment pas qu'il est enfermé dans un endroit précis du ciel, assis sur un trône localisable. Les cosmonautes russes ont déclaré avoir traversé l'espace sans le voir! Le ciel dans lequel le Christ s'est rendu lors de son ascension n'est pas un endroit définissable; en effet, la Bible enseigne que le Christ remplit toutes choses : "Celui qui est descendu, c'est le même qui est monté au-dessus de tous les cieux, afin de remplir toutes choses" (Ephésiens 4 : 10). "Dieu a tout mis sous ses pieds et il l'a donné pour Chef suprême à l'Eglise, qui est son corps, la plénitude de celui qui remplit tout en tous" (Ephésiens 1 : 22,23).
Ces textes bibliques apportent un démenti formel à Calvin qui enseignait : "Nous ne permettrons point non plus qu'on attribue rien à son corps qui répugne à sa nature humaine, ce qui se fait quand on dit qu'il est infini et qu'on le met en plusieurs lieux" (op. cit. 19). Si le pain et le vin sont localement présents dans la Cène, le corps et le sang le sont de façon illocale, surnaturelle ou sacramentelle. Faute de pouvoir décrire cette présence et pénétrer ainsi le mystère de la Sainte Cène, l'Eglise Luthérienne a utilisé ces adjectifs, pour rejeter la doctrine réformée d'une présence simplement symbolique, ou spirituelle, en vertu de laquelle le corps du Christ reste en définitive dans le ciel.
La présence de son corps et de son sang a lieu partout où la Cène est administrée conformément à l'institution du Seigneur. Il n'y a pas de sacrement administré conformément àcette institution, quand la Sainte Cène est célébrée sous la forme de messes privées, en la seule présence de l'officiant, du prêtre chargé de lire, seul dans son église, des messes en faveur des vivants et des morts. Il n'y a pas là le repas communautaire voulu par Jésus. Il n'y a pas là le "prenez, mangez!" et le "Buvez-en tous", qui sont un élément essentiel de l'institution du sacrement. Il n'y a pas la distribution du pain et de la coupe à l'assemblée des fidèles.
Le dogme catholique, et c'est ce qui a justifié à ses yeux l'usage des messes privées, fait de la Sainte Cène un sacrifice non sanglant et régulièrement renouvelé par le prêtre et les fidèles. B. Bartmann en donne la définition suivante : "A la messe, on offre à Dieu un sacrifice véritable et proprement dit, institué par le Christ". "De foi" (op. cit. II p.368). Il fonde cette définition sur l'affirmation du Concile de Trente : "Si quelqu'un enseigne qu'on n'offre pas à Dieu un sacrifice véritable et réel, qu'il soit anathème!" (Session XXII, Canon 1). Il formule encore la thèse suivante: "Le sacrifice de la messe n'est pas seulement un sacrifice de louange et d'actions de grâces, mais encore un sacrifice propitiatoire (De foi)" (op. cit. II, 389). En cela aussi il fait appel au Concile de Trente : "Si quelqu'un affirme que le sacrifice de la messe n'est qu'un sacrifice de louanges ou d'actions de grâces ou la simple commémoration du sacrifice réalisé sur la croix, et non pas un sacrifice propitiatoire... à apporter pour les vivants et pour les morts, (afin de satisfaire) aux péchés, aux châtiments, aux satisfactions et autres nécessités, qu'il soit anathème!" (Session XXII, Canon 3).
En d'autres termes, le sacrifice de la messe doit rendre Dieu propice et valoir à ceux qui le célèbrent ou pour qui il est célébré, les faveurs divines, ses grâces, le pardon et le salut. C'est une hérésie que l'Eglise Catholique n'a jamais rétractée et qu'elle ne saurait rétracter, car elle a été proclamée par ses conciles, donc par des instances dites infaillibles. C'est une insulte faite au Christ, par laquelle on nie que son sacrifice sanglant sur la croix soit parfait et suffisant. "Il nous convenait d'avoir un souverain sacrificateur comme lui, saint, innocent, sans tache, séparé des pécheurs et plus élevé que les cieux, qui n'a pas besoin, comme les souverains sacrificateurs, d'offrir chaque jour des sacrifices, d'abord pour ses propres péchés, ensuite pour ceux du peuple, car ceci il l'a fait une fois pour toutes en s'offrant lui-même" (Hébreux 7 : 26,27). "Nous sommes sanctifiés par l'offrande du corps de Jésus-Christ, une fois pour toutes (Hébreux 10 : 10). "Tandis que tout sacrificateur fait chaque jour le service et offre souvent les mêmes sacrifices, qui ne peuvent jamais ôter les péchés, lui, après avoir offert un seul sacrifice pour les péchés, s'est assis pour toujours à la droite de Dieu... Par une seule offrande il a amené à la perfection pour toujours ceux qui sont sanctifiés" (Hébreux 10 : 11,12,14). "Tout est accompli", put-il s'écrier sur la croix, tout ce qui est nécessaire au salut des pécheurs. D'autre part, affirmer que la Cène est un sacrifice par lequel les fidèles se rendent Dieu propice et s'acquièrent ses grâces, c'est enseigner que l'homme collabore avec le Seigneur à son salut. C'est faire du sacrifice de la messe une oeuvre méritoire. Nous sommes là, et Luther le savait, au centre de l'hérésie romaine!
La présence du corps et du sang du Christ, nous l'avons déjà dit, présuppose l'administration de la Cène conformément à l'institution du Christ. Or, cette institution inclut la consécration, la distribution et la réception, par les fidèles, du pain et du vin.
La consécration! Voilà ce qu'en dit l'apôtre: "La coupe de bénédiction que nous bénissons, n'est-elle pas la communion au sang de Christ?" (1 Corinthiens 10 : 16). Jésus lui-même, prenant le pain, puis la coupe, rendit grâces (chez Matthieu et Marc littéralement : loua). Célébrer la Sainte Cène, c'est donc louer Dieu et lui rendre grâces. C'est pourquoi on l'appelle encore l'eucharistie, le sacrement de l'action de grâces.
"La coupe de bénédiction que nous bénissons". Comment mieux la bénir et mieux rendre grâces au Seigneur pour son don ineffable qu'en répétant les paroles que Jésus lui-même a prononcées en instituant la Cène? Ce faisant, nous confessons que nous célébrons le sacrement tel qu'il l'a institué et que nous mettons à part les éléments naturels que sont le pain et le vin, pour recevoir par eux, selon la promesse du Seigneur, son vrai corps et son vrai sang. En agissant ainsi, il va de soi que nous n'attribuons pas aux paroles du pasteur un pouvoir miraculeux qu'il détiendrait en vertu de son ordination. Le corps et le sang du Christ sont présents en vertu de la promesse et des paroles qu'il a solennellement prononcées la nuit où il fut trahi. Les répéter, c'est confesser sa foi en ces promesses et obéir au "Faites ceci" par lequel il a exprimé sa volonté. Il est indispensable pour cela que ces paroles figurent dans la liturgie de la Cène, comme l'affirment les Confessions Luthériennes (Formule de Concorde, Epitome VII, 9).
Quant à l'usage qui consiste à réciter le Notre Père, il remonte aux premiers temps de l'Eglise chrétienne. Justin Martyr l'atteste déjà dans la deuxième moitié du second siècle.
Aujourd'hui encore, Jésus, et lui seul, accomplit le miracle qu'il a instauré lors de la première Cène. C'est lui, et lui seul, qui rend son corps et son sang présents. Ceux qui administrent le sacrement ne sont que les instruments dont il se sert pour cela. Il agit dans le royaume de la grâce comme dans celui de la nature. Nous confessons à juste titre que Dieu est notre Créateur, tout en sachant que pour nous créer, il a utilisé nos parents. Nous confessons qu'il fait croître le blé dans les champs, bien qu'il se serve pour cela du travail du cultivateur. C'est pourquoi le corps et le sang du Christ sont présents, même si le sacrement est administré par un ministre indigne.
Luther écrit dans le Grand Catéchisme : "Quelque mauvais que puisse être celui qui administre le Sacrement, qui le donne aux autres et qui communie lui-même, il prend et donne réellement le Sacrement, c'est-à-dire le corps et le sang du Christ, aussi bien que celui qui l'administre le plus dignement. Le sacrement, en effet, n'est pas fondé sur la dignité des hommes, mais sur la Parole de Dieu. Aucun saint sur la terre, aucun ange dans le ciel ne peut faire du pain et du vin le corps et le sang du Christ; personne, non plus, ne peut altérer le Sacrement en en faisant un mauvais usage. Ni l'indignité ni l'incrédulité de la personne ne saurait infirmer la parole par laquelle le Sacrement a été créé et institué. Car le Christ n'a pas dit : "Si vous croyez et si vous en êtes dignes, vous recevrez mon corps et mon sang"; il a dit, au contraire : "Prenez, mangez et buvez, ceci est mon corps, ceci est mon sang". Et il a ajouté ces mots : "Faites ceci", c'est-à-dire faites ce que je fais maintenant, ce que j'institue, ce que je vous donne et vous dis de prendre. Cela veut dire : Que tu sois digne ou non, tu as ici le corps et le sang du Christ en vertu de ces paroles qui viennent se joindre au pain et au vin. Retiens bien ceci, car sur ces paroles repose toute notre assurance; elles sont notre protection et notre défense contre toutes les erreurs et les séductions présentes ou futures" (6 point, 16-19).
De même la Formule de Concorde : "La présence réelle du corps et du sang du Christ dans la Sainte Cène n'est l'effet ni de la parole ou de l'oeuvre de l'homme, ni de la dignité ou du mérite du ministre qui officie, ni de la manducation ou de la foi des communiants; elle doit être attribuée uniquement à la toute-puissance de Dieu et à la parole par laquelle notre Seigneur Jésus-Christ a institué ce sacrement. Les paroles absolument vraies et toutes-puissantes que Jésus-Christ prononça lors de cette institution ne furent pas seulement efficaces alors, quand la Sainte Cène fut célébrée pour la première fois; leur vertu et leur efficacité subsistent et restent entières aujourd'hui encore, si bien que partout où la Cène est administrée telle qu'elle fut instituée par le Christ et où les paroles du Christ sont répétées, en vertu et par l'efficacité de ces paroles que le Christ prononça lors de la première Cène, le corps et le sang du Christ sont réellement présents, distribués et reçus" (S.D. VII, § 74,75).
Quand le corps et le sang du Christ sont-ils réellement unis au pain et au vin? A partir de quand? C'est une question à laquelle nous n'avons pas de réponse. La théologie catholique répond, conformément à sa doctrine de la transsubstantiation : A l'instant de la consécration, donc avant la distribution. En cela aussi, elle se perd dans des spéculations qui n'ont rien de biblique. Les uns affirment que la présence réelle se fait pendant que le prêtre récite les paroles : "Ceci est mon corps". Selon d'autres encore, quand il a prononcé la dernière syllabe de cette phrase. Selon d'autres encore, quand il a prononcé le M de "meum" ("hoc est corpus meum", "ceci est mon corps"). L'Eglise Luthérienne n'enseigne pas que l'union du corps et du sang du Christ au pain et au vin ne se fait qu'à l'instant où ils sont distribués et reçus par les fidèles, mais se contente de dire qu'elle a lieu partout où les différents actes qui correspondent à l'institution du Christ (consécration, distribution, réception) sont effectivement accomplis. L'instant précis est un mystère. La théologie luthérienne établit le principe que la présence réelle est liée à l'usage institué par Jésus. Il s'ensuit qu'elle cesse d'avoir lieu, quand la célébration est achevée, que le corps et le sang du Christ ne sont pas présents avec ce qu'il reste de pain et de vin après la cérémonie.
Dans son discours en Galilée, Jésus avait proclamé : "Je suis le pain vivant qui est descendu du ciel. Si quelqu'un mange de ce pain, il vivra éternellement" (Jean 6 : 51). C'était une façon illustrée d'affirmer qu'il n'y a de salut qu'en lui, que pour être sauvé, le pécheur doit s'unir étroitement à lui, se l'approprier par la foi. Manger ce pain signifie tout simplement croire en lui. Ses auditeurs n'avaient pas compris cela. C'est pourquoi ils s'interrogeaient, perplexes : "Comment peut-il nous donner sa chair à manger?" (Jean 6 : 5). En se fondant sur ce texte, la théologie réformée accuse les Luthériens d'enseigner une manducation "capernaïtique" (les auditeurs du discours de Jean 6 étaient de Capernam) du corps et du sang de Jésus dans la Cène, c'est-à-dire une manducation naturelle semblable à la consommation d'une nourriture ordinaire. Or, dit-on, Jésus lui-même rejeta cette manducation dans son entretien avec les habitants de Capernam.
L'Eglise Luthérienne repousse ce reproche, en affirmant que si la manducation du corps et du sang du Christ est orale, elle n'est cependant pas naturelle, mais surnaturelle. En d'autres termes, le corps et le sang du Christ ne suivent pas le chemin du pain et du vin dans le ventre du communiant. Ils ne sont pas en partie assimilés et transformés en chair et en os, et en partie rejetés et éliminés. La bouche du communiant n'est que l'instrument dont se sert le Christ pour lui communiquer son corps et son sang, de même que l'oreille est l'outil dont il se sert pour lui faire entendre l'Evangile.
La Formule de Concorde est formelle à ce sujet : "Nous rejetons explicitement l'opinion des gens de Capernam qui s'imaginaient que manger le corps du Christ, c'est déchirer sa chair avec ses dents, la digérer comme un aliment quelconque. C'est pourtant l'opinion que les sacramentaires se plaisent à nous prêter, malgré le témoignage de leur propre conscience et en dépit de nos multiples protestations. De la sorte ils font haïr notre doctrine par ceux qui les écoutent et ils la condamnent absolument. Nous affirmons au contraire et nous croyons, en nous fondant sur les simples paroles du testament du Christ, que nous mangeons réellement son corps; mais cette manducation, de même que l'absorption de son sang, est surnaturelle; le sens et la raison de l'homme ne peuvent la concevoir, mais notre intelligence est captive dans l'obéissance du Christ, comme c'est le cas de tous les autres articles de foi. Un tel mystère n'est révélé que dans la Parole et n'est saisi que par la foi" (Epitome, VII, 42).
Nous enseignons donc que la manducation du corps et du sang de Jésus n'est pas simplement spirituelle, mais orale, qu'elle a donc lieu par la bouche; cependant, bien qu'orale, elle n'est pas naturelle, mais surnaturelle. Unique en son genre, c'est pourquoi on l'appelle encore sacramentelle.
Enfin, étant donné que la présence du corps et du sang du Christ dépend non pas de l'attitude personnelle des communiants, mais de la Parole toute-puissante du Seigneur, les communiants indignes, c'est-à-dire ceux qui s'approchent de la Table du Seigneur sans repentance et sans foi, les reçoivent également. Cette affirmation est la pierre de touche de la doctrine luthérienne. Il arrive souvent que les Calvinistes stricts parlent de la présence réelle, et même substantielle du corps et du sang du Seigneur, utilisant ainsi les termes qu'emploie la théologie luthérienne. Mais, et ceci montre bien qu'ils donnent à ces mots un autre sens, il est évident pour eux que seuls les communiants croyants les reçoivent. C'est par la foi qu'on s'élève en quelque sorte au ciel, pendant que l'on communie, et qu'on entre ainsi en communion avec le corps et le sang du Christ. Il s'ensuit que les communiants incrédules ne reçoivent que le pain et le vin. Calvin disait : "Nous n'enseignons pas que Judas a reçu le corps du Christ au même titre que Pierre".
La Bible enseigne cependant que l'essence du sacrement ne dépend pas des dispositions intérieures de celui qui le reçoit. "Si quelques uns n'ont pas cru, leur incrédulité anéantira-t-elle la fidélité de Dieu? Loin de là!" dit Paul (Romains 3 : 3). "Si nous sommes infidèles, il demeure fidèle, car il ne peut se renier lui-même" (2 Timothée 2 : 13). Le nom de Dieu reste le nom de Dieu, même quand les impies en font un mauvais usage. Jésus reste le même, que Marie-Madeleine lui baise les pieds ou que Judas lui donne le baiser de la trahison. Le Baptême est toujours valide, même si celui qui le reçoit n'en retire pas les bénédictions qui lui sont promises, en raison de son incrédulité. Il a véritablement reçu le Baptême, mais ce Baptême ne lui profite en rien.
De même, celui qui communie sans foi participe au corps et au sang du Christ. Il y participe tant et si bien que l'apôtre affirme qu'il se rend coupable envers le corps et le sang du Christ et mange et boit ainsi un jugement contre lui-même (1 Corinthiens 11 : 27-29). Un théologien réformé répondra que le corps et le sang du Christ n'ont pas besoin d'être présents et reçus oralement, pour qu'un incroyant s'en rende coupable. Il peut le faire même en leur absence, de même que celui qui piétine par exemple le drapeau de son pays outrage le pays lui-même dont le drapeau est le symbole, ou que celui qui crache sur l'effigie du Chef de l'Etat insulte le Chef et l'Etat lui-même. C'est une interprétation, mais elle introduit dans le texte ce que le texte lui-même ne dit pas. Paul affirme que celui qui communie indignement se rend coupable envers le corps et le sang du Christ, et non coupable envers leurs symboles.
Il est tout à fait certain, par contre, qu'en communiant ainsi, on n'obtient pas les grâces liées àce sacrement, en particulier le pardon des péchés. La foi est la main par laquelle on saisit les bienfaits offerts par Dieu. Quand la foi est absente, le sacrement, loin de conférer le pardon, procure la condamnation. On mange et boit ainsi un jugement contre soi-même. Sur ce point aussi la Formule de Concorde est formelle : "La seconde façon de manger le corps du Christ est la manducation orale ou sacramentelle. Elle a lieu dans la Sainte Cène où la substance du vrai corps et du vrai sang du Christ est reçue de bouche et assimilée par tous ceux qui mangent et boivent le pain et le vin consacrés. Les croyants reçoivent le corps et le sang du Christ comme un gage certain qui les assure que leurs péchés leur sont remis et que le Christ vit et agit en eux. Les incrédules reçoivent, eux aussi, le corps et le sang du Christ, mais pour leur jugement et leur condamnation" (S.D. VII, § 63).
Au 5 siècle déjà, Augustin disait : "La Table du Seigneur est la même pour Judas et pour Pierre, mais elle n'a pas servi à la même chose pour l'un et pour l'autre" (Contra Petilianum II, c. 47). Quand Dieu offre sa grâce à un homme et que celui-ci la méprise et la rejette, il s'attire sa colère. Et plus l'offre de sa grâce est grande, plus grande est la colère qu'il réserve à celui qui la dédaigne et la foule aux pieds. Or, c'est ce qu'on fait, quand on s'approche de la table du Christ avec un coeur impénitent et incrédule. D'ailleurs l'incroyant n'est pas invité à la Table du Seigneur; le Seigneur ne le convie pas à son repas. Seuls sont les bienvenus au sacrement de l'autel ceux qui aspirent à la grâce et au pardon. Quand donc un impénitent se présente à sa table, il s'en prend à son corps et son sang que le Christ réserve à ceux qui soupirent après sa grâce. Il reçoit avec un coeur rebelle ce que Jésus veut donner aux siens pour les fortifier dans la certitude de leur salut. Il outrage ainsi l'une des choses les plus saintes qui soient et se rend gravement coupable. La parole de vie est une odeur de mort pour ceux qui périssent, et une odeur de vie pour les croyants. Il en est de même du corps et du sang du Seigneur; Ils apportent aux croyants le sceau de leur salut, aux incrédules le sceau de leur condamnation.