COMMENTAIRE SUR MICHÉE, par Dr. Wilbert Kreiss - index
DENONCIATION DE L'INJUSTICE SOCIALE (Michée 2)
C'est une dénonciation en règle des accapareurs, notamment de ceux qui profitent de la guerre pour s'approprier les terres et les maisons des gens endettés, des anciens combattants et de leurs veuves. Ils seront dépouillés et châtiés, et les prédictions rassurantes des faux prophètes n'y changeront rien. Tel est le message du 2° chapitre du prophète Michée.
Contre les accapareurs:
"Malheur à ceux qui méditent le mal et trament des méfaits tout au long de la nuit. Au point du jour, ils vont les accomplir en profitant de leur pouvoir. Ils convoitent des champs: ils s'en emparent; des maisons: ils les prennent. Ils oppriment les gens, les dépouillant de leurs habitations et de leurs terres. C'est pourquoi l'Eternel déclare: Contre cette nation je projette un malheur: il sera comme un joug dont vous ne pourrez plus vous dégager le cou. Vous ne marcherez plus la tête haute, car ce temps qui arrive est un temps de malheur. En ce jour-là, on vous citera en exemple dans les proverbes. On chantera sur vous une lamentation. On dira: "C'en est fait, nous sommes dévastés, totalement détruits; Dieu fait passer à d'autres la propriété de mon peuple. Hélas, on me l'enlève pour donner aux rebelles nos terres en partage". Voilà pourquoi vous n'aurez plus personne pour vous distribuer votre part du pays" (2:1-5).
Aux péchés de la première table de la Loi (Michée 1) succèdent ceux de la seconde (Michée 2). Le mépris de Dieu engendre celui du prochain. Quand on tourne le dos au Seigneur, on ne voit plus dans le prochain une créature divine faite à l'image de Dieu et qu'on doit pour cela respecter et aimer. Quand on triche avec le Seigneur, il n'y a plus de raison de ne pas tricher aussi avec son prochain.
Israël était à l'origine un peuple nomade, qui vivait un peu au jour le jour, au hasard des prés où il faisait pâturer et des sources d'eau et citernes où il abreuvait ses troupeaux. Il ne possédait pas de terres, si ce n'est un lieu où enterrer ses morts, comme la caverne de Macpéla (Genèse 23). Personne n'était propriétaire terrien. Il n'y a pas de véritable exploitation du prochain au sein d'une tribu nomade. Les rapports sociaux sont simples, car ils ne sont pas empoisonnés par le sentiment de propriété.
Puis le peuple s'installa en Canaan. Dieu prit alors des précautions: 1) Il déclara que le pays lui appartenait, qu'il ne faisait que le prêter à son peuple. 2) Il le répartit en douze portions et en donna une à chaque tribu. 3) Il déclara que les ventes de terres n'étaient pas valables au-delà d'un certain temps, qu'elles devaient revenir lors de l'année du jubilé à leurs anciens propriétaires, et que cette année-là, ceux qui avaient dû se vendre comme esclaves pour éponger des dettes recouvraient leur liberté. On tirait à nouveau les lopins de terre au sort (V.5). Il existait une sorte de "propriété tournante" qu'Israël ne pratiqua, semble-t-il, que durant deux ou trois générations.
Ils convoitent..., s'emparent..., prennent..., oppriment:
Michée dénonce l'oppression des pauvres, la corruption du gouvernement et la malhonnêteté dans les affaires qui minaient la société de son temps. Les propriétaires terriens avides et les usuriers étaient tellement obsédés par l'acquisition de richesses qu'au lieu de dormir comme tous ceux qui ont honnêtement accompli leur tâche pendant la journée, ils passaient leurs nuits à concevoir des moyens frauduleux pour s'emparer des champs et de la maison du pauvre. C'étaient des spécialistes en affaires et en escroqueries de toutes sortes, qui profitaient de la pauvreté des pauvres pour s'enrichir.
C'est bien connu. Quand le pauvre est vraiment pauvre, il est facile de l'appauvrir encore. Quand le petit paysan est victime d'une sécheresse, qu'il ne récolte rien au moment de la moisson, il lui faut, s'il veut manger et survivre, vendre des bêtes ou un champ. Et comme il y est obligé et qu'ils sont nombreux à le faire, quand l'année n'est pas bonne, les cours s'effondrent. On en profite pour offrir le plus bas prix. Ainsi, le riche s'enrichit sur le dos du pauvre. C'est un cycle infernal, connu sous toutes les latitudes et à toutes les époques. Et il n'est pas nécessaire, pour le vérifier, d'aller dans tel pays d'Amérique latine où 90% des terres sont la propriété de 5% de la population!
La Loi de Dieu était fondamentalement juste et préservait les biens de chacun. Mais quand on oublie ou méprise les trois premiers commandements, les autres suivent. Israël, de peuple nomade, était devenu un peuple de possédants, d'exploitants dont certains s'étaient transformés en exploiteurs. C'est eux qui faisaient la loi, la pluie et le beau temps, et qui fixaient le prix des terres, des bêtes et des denrées. Le produit national brut (PNB) s'était peut-être multiplié par dix sous les règnes de Jéroboam II d'Israël et Ozias de Juda, mais la richesse se concentra en quelques mains, si bien qu les "petits" finissaient par ne plus pouvoir vivre sur la terre que Yahvé leur avait prêtée. Et comme toujours, le pouvoir est du côté de l'argent. Ce sont les riches qui font les lois et qui, au besoin, corrompent et achètent fonctionnaires et magistrats. C'est bien connu, le riche a le droit pour lui; on fait le droit pour protéger ses biens. Et avec le droit, il a le pouvoir. Ainsi l'argent appelle l'argent, et le pouvoir appelle le pouvoir. Ce qui signifie inversement que la pauvreté appelle la pauvreté. Le cercle est vicieux et infernal.
Esaïe, Jérémie (22:13-19) et Amos (2:6; 8:4-6) firent le même constat et annoncèrent le même jugement. Quand Dieu est bafoué sur sa propre terre qu'il a prêtée à son peuple, il ne peut pas ne pas juger et punir. C'est l'annonce des invasions ennemies, d'une catastrophe nationale et de la déportation (V.3.4). Un pays à ce point envahi par l'injustice est sûr de perdre une guerre, si elle se présente. Ce ne sont pas les spoliés et les pauvres qui le défendront. Ils n'ont rien à perdre, plus rien à défendre, et aucune envie de se battre pour sauver les biens d'autrui. Un tel pays coupe la branche sur laquelle il est assis.
Faut-il rappeler l'actualité d'un tel texte? Evoquer la concussion, les pots-de-vin, les passe-droit, l'impunité dont jouissent certains, les immunités qui font leur force, les auto-amnisties qu'on proclame pour échapper à la justice, les faux et usages de faux, les trafics d'influence, les délits d'initiés, les scandales financiers qui éclaboussent notre société, les fortunes bâties en un tour de main, alors que le Quart-Monde ne cesse de progresser autour de nous, les abus de confiance et abus de biens sociaux dont se rendent coupables non pas les "gagne-petit" qui ne savent pas comment payer leur loyer, s'acquitter de leurs factures de chauffage et d'électricité, rembourser leurs dettes et nourrir leur famille, mais les grands et les riches, ceux qui ont de quoi vivre, et même beaucoup plus, ceux qui ont les moyens de claquer des dizaines de milliers de francs aux courses ou en une soirée au casino, tandis que d'autres fouillent les poubelles pour manger et se réfugient dans les bouches de métro pour ne pas mourir d'une pneumonie? Faut-il rappeler que certains peuvent se payer des super-avocats pour défendre des causes indéfendables, alors qu'on n'hésite pas à soutirer à une famille en difficulté jusqu'au dernier centime prévu par la loi?
Alors rappelons-le: la propriété est de droit divin, ce qui signifie en premier lieu que la terre appartient à Dieu et rien qu'à lui, que l'homme ne fait que la gérer et qu'il a des comptes à rendre. Que tous les hommes devraient avoir quelque chose à gérer. Que le droit au travail et à la dignité existe pour chacun, que tout travailleur a le droit d'être logé et de manger à sa faim. Et d'être défendu, et défendu bien et efficacement, quand il est lésé ou spolié, même s'il n'a pas les moyens de payer les services d'une vedette du barreau? Peut-on dire que les biens disponibles dans notre pays sont répartis équitablement? Ce qui ne veut pas dire que certains n'aient pas le droit de posséder plus que d'autres, car il est normal et juste que le travail et le talent se monnaient. Mais est-ce toujours le cas? Et que dire des relations Nord-Sud, des pays occidentaux qui se sont amplement enrichis sur le compte de ceux du Tiers-Monde et continuent de le faire? Pour tous ces crimes et d'autres encore, Michée annonça à son peuple la déportation à Ninive. Vers quelle Ninive allons-nous?
Contre les prophètes de la paix:
"Cessez de délirer, délirent tous ces faux prophètes; on ne peut délirer ainsi!" Cela ne détournera pas l'outrage pour autant! Cependant, que dit-on parmi le peuple de Jacob? "L'Eternel aurait-il perdu patience, est-ce bien là sa manière d'agir?" "Certes, pour ceux dont la conduite est pleine de droiture, mes paroles sont bienveillantes. Mais hier encore, on a traité mon peuple en ennemi. Vous ôtez le manteau de dessus la tunique à ceux qui, sans défiance, passent auprès de vous au retour du combat. Vous expulsez les femmes, les femmes de mon peuple, des maisons qu'elles aiment; vous ôtez pour toujours le glorieux patrimoine que je leur ai donné. Debout! Allez-vous-en! Car ce pays n'est plus un lieu paisible, parce qu'il est souillé, et il sera la cause d'une terrible destruction. Car si un homme vient qui court après le vent, qui profère des mensonges et qui dit: Oui, pour toi je vais délirer, distiller du bon vin, des boissons enivrantes, cet homme-là devient le distillateur de délires pour tout ce peuple!" (2:6-11).
Michée n'est pas le seul à parler dans son pays. Beaucoup d'autres prétendent être prophètes, mais le message n'est pas le même. Ils parlent de paix et de bien-être là où l'homme de Dieu ne peut annoncer que le jugement et le châtiment du ciel. Alors ils l'accusent d'être un empêcheur-de-tourner-en-rond, un prophète de malheur, et de délirer (V.6). Et, comme c'est le propre de tous les faux prophètes, ils font passer leur message pour la Parole de Dieu (V.7). Satan ne se déguise-t-il pas en ange de lumière, pour séduire les croyants (2 Corinthiens 11:14)? Dieu n'est-il pas le Dieu de l'alliance qui a juré de protéger son peuple? Le faux prophète se réfugie derrière les promesses que Dieu a faites à son peuple, mais omet de parler de la vocation de ce dernier, tandis que le vrai prophète prêche les deux, la fidélité du Seigneur et le devoir de son peuple.
Certes, Dieu est bon et fidèle, mais "pour ceux dont la conduite est pleine de droiture" (V.7). Les oppresseurs et les escrocs, les méchants et les perfides ne peuvent pas s'attendre de sa part à de l'amour et de la patience. Or que se passe-t-il dans le pays? On spolie les soldats qui sont partis se battre et qui rentrent du combat sans se méfier, certains qu'on les estimera pour leur courage et qu'on leur témoignera de la gratitude. Ils sont partis à la guerre, se sont laissé enrôler pour gagner leur vie et nourrir leurs familles en courant de grands risques, et pendant ce temps on a dépouillé leurs femmes et leurs enfants (V.8.9).
Distillateur de délires:
Le V.11 contient un jeu de mots qui échappe aisément au lecteur. Le mot hébreu traduit par "vent" signifie aussi "Esprit". Beaucoup de faux prophètes, persuadés d'être poussés par l'Esprit (2 Pierre 1:21), "courent après le vent". Autre jeu de mots: le prophète joue sur la sonorité des mots traduits par "mensonges" ("schèqèr") et "boissons enivrantes" ("schékâr"). Les devins de Samarie, et peut-être aussi leurs collègues de Jérusalem, s'enivraient d'une "ivresse sacrée" pour entrer en transes (Esaïe 28:1.7-9). "In vino veritas", affirme le dicton. Ici, par contre, quand il s'agit de prophétiser, l'alcool engendre les mensonges et le vin distille du délire. Le vrai prophète, quant à lui, n'a pas besoin d'alcool et de drogues, car il n'a pas besoin de transes. Il reste lucide, ouvre les yeux et analyse la situation. A la différence des faux prophètes, il ne cherche pas à faire plaisir aux gens. Il détient un message qui déplaît, pour lequel on le hait et, au besoin, le persécute. Et pourtant il a le courage de le proclamer. Cela aussi est un test de vérité.
Il y a de l'espoir pour le reste juste:
"Descendants de Jacob, je vous rassemblerai, oui, Jacob tout entier, et je vais réunir les restes d'Israël, l'Eternel le déclare, je les ferai venir ensemble comme un troupeau d'agneaux dans un enclos. Ils seront comme des brebis au milieu de leurs pâturages: on entendra le bruit d'une foule humaine en tumulte. Celui qui fait la brèche marchera devant eux. Ils se presseront par la brèche, ils franchiront la porte et sortiront par elle. Leur Roi marchera devant eux, l'Eternel sera à leur tête" (2:12.13).
Ces deux versets sont, après le désespoir de l'oracle précédent, un cri d'espoir. En son temps, Dieu rassemblera ses élus comme il a ramené son peuple de l'exil. La grande délivrance qu'il lui a accordée, lorsque, se servant de l'édit de Cyrus (538 av. J.-C.), il le fit sortir de Babylone et le conduisit à Canaan, dans le pays de la promesse, préfigure le salut qu'il offre à ses "agneaux" et ses "brebis", ses élus en Israël et parmi les nations. Tel un bon berger, il les rassemble, prend soin d'eux, nourrit leur âme des promesses de son Evangile, les protège, les fortifie dans la foi, pour les conduire dans leur patrie céleste. Cf. Psaume 23; Ezéchiel 34:10-31.
Interprétés de la sorte, - et comment les interpréter autrement quand on connaît le Nouveau Testament? -, ces deux versets constituent une prophétie messianique, car Jésus-Christ est le bon berger que Dieu a choisi pour sauver les siens (Jean 10:1-18.27-30). Il est celui qui "fait la brèche", le grand Sauveur qui les délivre de leur prison, le Fils promis à David, le Roi dont la domination est universelle et ne prendra jamais fin. Au nom de ses promesses, Dieu se conserve un faible reste (Esaïe 1:9) à qui, au milieu des jugements dont il frappe le monde, tous les espoirs sont permis. C'est à cause d'eux qu'il a veillé à ce que le peuple à qui il avait fait de si grandes promesses ne soit pas réduit à néant comme Sodome et Gomorrhe (Esaïe 1:9), qu'il a permis à Juda de rentrer de l'exil et qu'il lui a conservé son identité et son intégrité nationales, jusqu'à ce que les temps fussent accomplis et qu'il eût envoyé son Fils dans le monde (Galates 4:4).
Questions de révision et exercices: