COMMENTAIRE SUR MICHÉE, par Dr. Wilbert Kreiss - index  COMMENTAIRE SUR MICHÉE, par Dr. Wilbert Kreiss - index


 

LE JUGEMENT DE SAMARIE (1:2-7)

"Ecoutez vous tous, peuples! Prête attention, ô terre, et vous tous qui vivez sur elle: le Seigneur, l'Eternel, sera témoin à charge contre vous; le Seigneur va vous accuser depuis son sanctuaire. Voici que l'Eternel sort de sa résidence. Il va descendre, marcher sur les sommets, les hauteurs de la terre. Sous ses pas, les vallées se fendront au milieu, les montagnes fondront comme la cire au feu, comme de l'eau versée coulant sur une pente. Et pourquoi tout cela? A cause de la rébellion des enfants de Jacob, à cause des péchés du peuple d'Israël. Qui incita Jacob à cette rébellion? N'est-ce pas Samarie? Et à cause de qui ces hauts lieux sont-ils en Juda? C'est à cause de toi, Jérusalem. Aussi vais-je réduire Samarie à un monceau de pierres dans la campagne, et l'on y plantera des vignes; je précipiterai ses pierres au fond de la vallée et je la raserai jusqu'en ses fondations. Ses idoles sculptées seront toutes brisées, et tous ses gains impurs seront livrés au feu. Ses images taillées, je les mettrai en pièces: elles ont été faites grâce au salaire de ses prostitutions. Aussi serviront-elles comme salaire d'autres prostitutions" (1:2-7).

L'Eternel sera témoin:

"Témoin à charge contre vous", a traduit la Bible du Semeur, "témoin contre vous", selon Segond. Il "va témoigner contre vous", est-il dit dans la TOB. Toutes ces traductions laissent entendre que Dieu va s'en prendre aux nations païennes, alors que le texte n'est qu'un réquisitoire de Dieu contre son propre peuple. Nous proposons donc la traduction suivante, tout à fait fidèle à la grammaire: "L'Eternel sera témoin parmi vous, depuis son sanctuaire". Ainsi les nations païennes sont interpellées, convoquées à un procès que Dieu va intenter à Samarie et Jérusalem, les capitales des deux royaumes, Israël et Juda. Dans ce procès, il sera à la fois témoin et juge. Il veut prononcer sa sentence en présence des nations de ce monde, tant sont criantes l'injustice et l'ingratitude de son peuple. Ces nations ont assisté elles-mêmes à l'infidélité et l'apostasie du peuple de Yahvé et pourront ainsi témoigner que son jugement n'est pas injuste.

Israël s'est livré à l'idolâtrie. Tout en adorant son Dieu, il s'est tourné vers les divinités païennes et leur a édifié des autels sur les hauts lieux. Baal et Astarté ne semblaient-ils pas s'intéresser beaucoup plus que Yahvé à la prospérité et au bonheur matériel des gens? N'étaient-ils pas plus que lui au courant de ce dont les hommes ont vraiment besoin pour que leur vie dans ce monde ne soit pas trop dure? C'est dans les campagnes, en milieu rural, qu'on les servait. Quelques sacrifices apportés à ces idoles ne pouvaient pas faire de mal et risquaient tout au plus de donner quelques pluies supplémentaires aux champs. Et puis on célébrait, par une imitation au sens le plus littéral du terme, l'accouplement de Baal et d'Astarté. Autant d'avantages que ne présentait pas le culte du Dieu d'Israël. De quoi attiser les sens et satisfaire les instincts. On ne rejetait pas le Seigneur, car on lui devait des bienfaits non négligeables tels que l'exode et la conquête de Canaan, mais on ajoutait à son culte un peu de piment en célébrant quelques rites païens réputés rentables et agréables. Le paysan israélite souffrait d'un certain strabisme religieux que le Seigneur lui reprocha amèrement.

Dieu n'accepte pas ce syncrétisme, ce mélange de vrai culte et d'idolâtrie, de vérité et d'erreur. Tout culte idolâtre est en soi une infidélité au Seigneur, de la prostitution spirituelle. Il est rupture de l'alliance. On ne réserve plus son culte à Dieu seul, mais lui adjoint d'autres divinités. On a confiance dans le Seigneur, mais une confiance limitée. Qui sait s'il s'intéresse à tout ce qui fait notre bonheur, s'il est assez grand et fort pour répondre à tous nos besoins? Mais pour quiconque se réclame de l'Eternel, tout culte apporté à d'autres dieux est un affront, une insulte qu'on lui inflige. La Bible appelle cela de l'adultère spirituel. Dieu réagit comme un mari jaloux de constater qu'il ne remplit plus le coeur de son épouse, qu'elle lorgne après d'autres hommes et se laisse séduire par eux.

Salaire de ses prostitutions:

Dieu va opérer un ravage. Les Assyriens en seront chargés. Samarie et Jérusalem, la famille royale, la noblesse, la classe politique et même l'élite religieuse ont favorisé l'idolâtrie. Deux des trois rois régnant sur Juda à l'époque de Michée étaient des idolâtres. Achaz alla jusqu'à sacrifier ses fils au dieu Moloc (2 Rois 16:3.4; 2 Chroniques 28:3; Lévitique 18:21) et sera imité en cela par son petit-fils Manassé (2 Rois 23:10; 2 Chroniques 33:6). Les deux villes seront donc ravagées, à commencer par Samarie dont la destruction est imminente et qui sera réduite en un monceau de ruines et entièrement rasée. Le culte rendu aux dieux païens et la prostitution sacrée à laquelle on se livrait rapportaient de substantiels bénéfices permettant de fabriquer de belles idoles, de sculpter des statues de grand prix. Mais les hauts lieux seront détruits et les idoles faites avec l'argent de la prostitution renversées. L'or et l'argent dont elles sont faites permettront aux conquérants d'enrichir leurs temples idolâtres et de se livrer ainsi à "d'autres prostitutions".

L'heure du jugement a sonné, et Dieu veut que les nations en soient les témoins. Il va manifester sa justice et sa sainteté et procéder à une redoutable théophanie, semblable à celle du Sinaï (V.3.4).

Michée s'en prend au peuple de Dieu si richement béni, qui a tourné le dos à son Seigneur. Ce n'est pas qu'il ne l'adore plus, mais il ne l'adore plus comme son seul Dieu. Il a partagé son coeur entre Yahvé et d'autres dieux jugés dans certains domaines plus rentables et plus efficaces. Si le prophète revenait sur terre et faisait de la France et d'une façon générale de l'opulent Occident son champ d'action, il s'en prendrait à ces athées des temps modernes qui n'ont plus besoin de Dieu pour expliquer le monde et donner un sens à leur vie. Ou plutôt qui l'ont descendu de son piédestal pour y installer d'autres dieux, car on a toujours besoin d'un dieu et on en vénère toujours au moins un et généralement plusieurs, même quand on se dit rationaliste et qu'on s'en défend avec vigueur.

Mais Michée s'en prendrait aussi à tous ceux qui ont abandonné le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob pour se tourner vers le dieu de l'Islam ou des religions orientales dont ils attendent la paix, le bien-être et le salut. Et enfin, il prendrait pour cibles ces innombrables "chrétiens" qui laissent Dieu sur son piédestal, mais qui lui demandent de se pousser un peu pour laisser un peu de place à d'autres, qui, malgré ce qu'en a dit Jésus, veulent servir à la fois Dieu et Mamon (Matthieu 6:24; Luc 16:9.11.13), ou un autre... Ils font leurs prières à Dieu, mais leur coeur est partagé. Ils ont encore "d'autres dieux devant sa face". Dieu est, bien sûr, Créateur du ciel et de la terre, mais cela n'empêche pas qu'on attende des miracles de la science, des prouesses de la médecine, le salut et le bonheur (au moins ici-bas, car on n'est pas si sûr qu'il y ait quelque chose après la mort!) des réformes politiques et sociales. Alors on regarde à Dieu et on fait ses oraisons, mais on louche aussi du côté des dieux de ce siècle qui sont peut-être aussi efficaces que lui, si ce n'est plus.

Attention! Nous ne sommes pas de ceux qui disent qu'il suffit de prier, le reste viendra tout seul. Nous n'avons rien contre la médecine, les sciences, les techniques, une sagesse diplomatie et une bonne politique sociale. Dieu sait utiliser tout cela pour bénir les hommes. Mais justement, il l'utilise, c'est-à-dire le rend utile. Ce ne sont pas des dieux, mais des moyens dont se sert celui qui est seul Dieu. Il ne faut donc pas les diviniser, comme on le fait trop souvent, jusque dans l'Eglise chrétienne. Car pour les diviniser, il faut "dédiviniser" Dieu. Et on le fait couramment, et pas seulement dans les ouvrages de théologie, mais même dans certains catéchismes. On ne craint pas d'affirmer que Dieu n'est pas la réponse à tout, qu'il ne faut pas le prendre pour une assistante sociale, que pour réussir ses examens le travail est sans doute plus efficace que la prière, que lorsqu'on est malade, le médecin est en fin de compte plus compétent que le Seigneur, et que de toutes façons le rôle de ce dernier n'est pas de s'occuper des innombrables problèmes, petits et grands, auxquels nous devons faire face dans ce monde. N'est-ce pas faire de Dieu le spécialiste des grandes causes comme le péché et la grâce, le jugement et l'au-delà, et nier son intervention dans le quotidien, là où il est question de semailles et de récoltes, de pluies et de sécheresse, d'enfants et d'éducation, de santé et de maladies, de travail et de repos? N'en doutons pas, Michée en aurait des choses à dire sur l'athéisme, le paganisme et l'incrédulité, mais aussi sur ce strabisme religieux qui nous fait loucher après d'autres dieux là où nous pensons que le nôtre est en perte de vitesse.

 


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13-février-2001, Rev. David Milette.